vendredi 29 janvier 2016

Encore de Hakan Günday




    " Si mon père n'avait pas été un assassin, je ne serais pas né..."
C'est la première ligne d'un roman coup-de-point écrit par un des auteurs turcs contemporains nullement décidé à faire des concessions.
    " Mon père avait besoin d'un associé qui fût lié à lui par sa chair, ses os et sa moelle. Il voulait s'associer à son fils, afin de ne pas partager ses gains avec un étranger.
    C'est ainsi que cette année-là, à peine sorti de l'école, je devins passeur de clandestins. A 9 ans...ça ne changeait pas grand-chose. J'étais déjà le fils d'un passeur."

    Gaza est doué, il va très vite piger le fonctionnement du système et l'améliorer au fil des années : enfant-monstre il observe, analyse le comportement de la marchandise humaine dont il a la garde afin d'optimiser le rendement d'un trafic qu'il réalise très vite impossible sans le soutien de l'administration corrompue. Il joue de la peur qui asservit l'homme et le soumet à la domination du décideur, monte les migrants les uns contre les autres et finit par banaliser les exactions commises au dépôt : affamer et assoiffer le troupeau, le faire crever de chaud ou de froid, tolérer les viols dont il saura lui-même profiter en prenant de l'âge.
    Avec un père, Ahad, homme impitoyable qu'il admire et déteste à la fois, avec les frères Harmin et Dordor, anciens taulards d'un pénitencier d'Australie, commandants des bateaux qui emmènent les migrants en Grèce qu'il trouve extraordinaires et qu'il aime vraiment, il est certes à bonne école.
    "Avec eux, la vie n'était rien. Sans se plier à aucune règle, elle s'évaporait et se dissipait dans l'air. Il ne restait plus rien, ni temps, ni morale, ni mon père, ni ma peur..."
    Une bien modeste preuve d'humanité dans cette "jungle" où l'homme n'est que bétail, le geste de Cuma, le migrant afghan : " Il avait 26 ans et il m'avait fait une grenouille en papier. Une grenouille qui sautait quand j'appuyais mon doigt dessus... Il est mort un dimanche." Sur le papier, les Bouddhas de Bâmiyân témoins silencieux de la conduite ignoble de Gaza, de ses remords tardifs et de l'aboutissement de sa quête de rédemption.

     Fils de diplomate, l'auteur a grandi à Bruxelles. Huit romans à son actif où il étudie les maux de la Turquie pays charnière entre deux mondes. Grand admirateur de Céline, dans la première partie de "Encore" il décortique le mécanisme de la peur et de la domination, le rapport de force entre un groupe et un individu. Sa puissance d'évocation pourrait laisser croire à un reportage mais il privilégie toujours le roman qui lui laisse une liberté qu'il exploite au maximum pour expliquer le comportement d'un être qui change de camp après avoir banalisé, au point de devenir insensible, les drames qui se jouaient sous ses yeux.
    Roman d'initiation, roman politique, thriller ? Au lecteur de choisir. Mais le livre refermé, Gaza continue de nous hanter.

   Editions Galaade 2015 Traduit du turc par Jean Descat
   ( 371 pages-24€)

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Josèphe