lundi 30 juillet 2012

Rue Darwin de Boualem Sansal

Ecrire pour démêler l'écheveau embrouillé de la vie et atteindre sa vérité.

   "Tout est certain dans la vie, le bien, le mal, Dieu, la mort, le temps, et tout le reste, sauf la Vérité. Mais qu'est-ce que la Vérité ?... Mais devenant certitude, est-elle toujours la Vérité ?...
   C'est de cela que nous allons parler, c'est notre histoire, nous le savons sans le savoir." (p.15)

   Ils sont tous là, à l'hôpital de la Pitie-Salpêtrière, les frères , les soeurs au chevet de leur vieille mère dont la fin est proche. Ils sont là, devenus étrangers parce que séparés depuis longtemps par des routes divergentes qui les ont éparpillés aux quatre coins du monde. Seul  Hédi, le dernier de la fratrie, est injoignable depuis qu'il a "voué sa vie au djihad et à ses folies". Yazid, le narrateur, est toujours resté à Alger et s'est occupé de sa mère. C'est elle, avant de mourir, qui lui demande de retourner rue Darwin et d'aller voir Farroudja.

   "Quelque chose cognait au fond de moi, très loin au fond de moi. un vieux souvenir d'une époque lointaine, d'un autre monde. L'heure du rendez-vous était arrivée." (p.19)

   Pour lui, le temps est venu de démêler les fils d'un passé qu'il a toujours souhaité oublier parce que trop incertain, trop compliqué pour l'enfant qu'il était.
   Il sait qu'il est né dans le bled, à trois cents kilomètres d'Alger, il se souvient qu'il vivait, sous étroite surveillance, dans le "phalanstère" fief de la richissime Djéda sa grand-mère devenue, à la mort de son père, chef du clan des Kadri. Crainte et vénérée Djéda exerce une autorité sans partage et son influence est indiscutable et sans limites. Il est important de préciser que Djéda a fait son immense fortune en gérant des bordels.
   A huit ans, Yazid est enlevé par Farroudja, l'amie de sa mère, et ramené à Alger. Il vit désormais rue Darwin dans le quartier Belcourt véritable ghetto de la pauvreté. Il y vit une adolescence heureuse dans "le quartier qui fonctionne comme un sanctuaire, une matrice douillette qui isole, protège, unit dans une même identité."
   Malgré les événements qui secouent son pays, malgré des conditions de vie qui se dégradent et contrairement à ses quatre frères et soeurs, Yazid n'envisagera jamais de quitter l'Algérie.

   L'écriture, c'est l'arme de l'auteur. L'arme de celui, qui après toutes ces années, refuse soumission et résignation. L'écriture, c'est aussi le moyen de porter l'Histoire d'un peuple à la recherche de l'identité perdue de son pays. Pays qui ne "laisse de répit ni à la vie ni à la mort" et sombre dans un islamisme véritable "pieuvre qui s'insinue partout."
    Je retrouve ici l'écriture dense, convaincante et particulière d'un écrivain qui veut parler vrai, essayer de comprendre pourquoi son peuple, comme le monde, semble courir à sa perte. Des expressions percutantes, parfois gouailleuses et humoristiques allègent le propos et le dédramatisent.
   Si le livre est sous-titré roman, je peux vous assurer, après recherches, qu'il est éminemment autobiographique, ce qui donne encore plus d'impact et de portée à son contenu.

     Editions Gallimard 2011 Prix de la paix des libraires allemands 2011

     Boualem Sansal est né en 1949. Il vit à Boumerdès dans les environs d'Alger. Il fait des études d'ingénieur et un doctorat d'économie. Il est tour à tour enseignant à l'université, consultant en affaires et chef d'entreprise. Il devient directeur général au ministère de l'industrie algérien mais est limogé de son poste en 2003 en raison de ses prises de positions critiques et de ses livres;
    -Le serment des barbares 1999 Prix du premier roman
    -L'enfant fou de l'arbre creux 200 Prix Michel Dard 2001
    -Dis-moi le paradis 2003
    -Harraga 2005
    -Poste restante : Alger, lettres de colère et d'espoir 2007
    -Petite éloge de la mémoire Quatre mille et une année de nostalgie 2007
    -Le village de L'allemand 2008 Grand prix RTL/Lire 2008

rfi.fr/.../20110922-rue-darwin-vie -presque-tronquée-boualem-sansal
www.dailymotion.com/.../xr80q5boualem-sansal-pou

mardi 10 juillet 2012

Des cailloux dans le ventre de Jon Bauer

             L'histoire violente et tendre d'un garçon jaloux et de l'homme déglingué qu'il est devenu !

    Il n'a que huit ans mais il sait qu'il n'est pas facile d'être l'enfant d'une famille d'accueil. Quand Robert arrive, très vite, il a su que les choses allaient devenir compliquées pour lui. Cet enfant battu, malheureux, placé chez eux par le service social, monopolise immédiatement toute l'attention et l'entière sollicitude de ses parents. Entre une mère obnubilée par l'efficacité de son rôle et un père un peu moins complice parce que moins disponible, il se sent délaissé et vit cet abandon comme une profonde injustice. Dépossédé, il ne lui reste plus que la révolte et la violence pour crier sa colère.

    "Je disais que j'avais été adopté, moi, le seul enfant chez nous à ne pas avoir été placé dans une famille d'accueil. Et maintenant que je suis censé être un homme, tout en moi est adopté : mon pays, le récit que je fais de mon passé.
    Même dans mon enfance, je n'étais pas chez moi." (p.7)

    Vingt ans plus tard, l'homme broyé qu'il est devenu revient pour soigner sa mère qui se meurt d'une tumeur au cerveau. Ils se sont perdus depuis si longtemps que les retrouvailles sont difficiles. Les souvenirs qui rouvrent les cicatrices d'un passé douloureux, la maladie qui embrume le cerveau de sa mère rendent leur rapprochement très improbable. Perturbé par une situation qui le dépasse et qui achève de le déstabiliser il oscille, en permanence, entre pardon et ressentiment.

    "Pendant que je la serre contre moi, je contemple ce jardin si familier. Cette pesanteur familière. Familiale. Tout m'y rappelle cette partie de moi que j'ai essayé si longtemps d'effacer.
    C'est effrayant : si cette part d'ombre a poussé un enfant de huit ans à aller si loin, de quoi suis-je capable à vingt-huit ans ?" (p.51)

    C'est le récit de la souffrance d'un enfant qui voulait grandir trop vite et le récit du désespoir d'un adulte qui n'a pas réussi à y parvenir.
    L'écriture se fait tendre, candide, laisse poindre la clairvoyance et la logique imparables de ce garçon, sans nous faire oublier pour autant, que la révolte couve en permanence et peut exploser quand il a "le ventre écorché en dedans".
    L'écriture devient inquiétude et chagrin pour ce fils qui ne retrouve plus la mère qu'il avait laissée. La culpabilité le ronge, comme la tumeur ronge le cerveau de sa mère : "la noix sur le scanner", c'est lui ! Partagé entre l'amour et la haine, la peine et la rancoeur, il sombre dans un délire macabre, cri de souffrance d'un homme qui ne peut pas guérir de son enfance.

    "Mon enfance me hante comme mes poings hantent mes mains"

    Un livre brutal où sourd tant de désespoir qu'il bouscule le lecteur, le submerge sans jamais le laisser indifférent. En un mot, une lecture dont il ne sort pas indemne et qu'il n'est pas prêt d'oublier.

    Rocks in the Belly 2010
    Editions Stock 2012 traduit de l'anglais (Australie) par Virginie Buhl  (355 pages)

    Jon Bauer est né en 1974 en Angleterre. Installé depuis dix ans en Australie.
    Des cailloux dans le ventre est son 1er roman (Prix du 1er roman décerné par les libraires indépendants australiens)

   www.editions-stock.fr/.../stock-auteur-000000090666-Jon-Bauer-bio
    www.telerama.fr>le fil de livres>