mardi 31 mai 2011

Les insurrections singulières de Jeanne Benameur

Que serait l'homme sans les mots ?

Il y a Antoine, l'enfant mutique déjà trop à l'étroit dans son milieu familial,
   Antoine, l'étudiant décalé, étranger au monde de la fac, qui finit par entrer à l'usine pour "faire l'ouvrier" parce que pour lui c'était inévitable, programmé, 
   Antoine, l'adulte de quarante ans contraint de revenir vivre chez ses parents après le naufrage de sa vie amoureuse.

Mais surtout, il y a les mots : les mots qui étouffent Antoine, les mots muets qui lui envahissent la tête et dont il ne sait que faire,
   les mots silence que Karima aurait aimé entendre et qu'il n'a jamais su lui dire,
   les mots usurpés quand il devient porte-parole des ouvriers révoltés par la délocalisation de leur usine,
   les mots partagés quand il raconte, au Brésil, la vie de Jean Moulevade, le fondateur de l'usine jumelle de la leur et source de leurs problèmes,
   et puis, il y a les mots de Marcel, vieux bouquiniste amoureux des livres, qui lui ouvre sa maison et sa bibliothèque.

Marcel qui lui donne accès aux livres et à des horizons insoupçonnés,
   Marcel père spirituel et complice de ses découvertes, de ses tâtonnements, qui dans son immense sagesse l'accompagne "de loin" vers ce à quoi il aspire, vers la révélation de "sa singularité".
   Marcel l'instigateur de leur voyage au Brésil où il fait la connaissance de la belle et mystérieuse Thaïs.

Thaïs sa guide et son interprète qui lui fait prendre conscience que chaque langue a sa propre musique, que les mots doivent être entendus et compris.
   Thaïs dont il devient amoureux. Amour partagé, bonheur inattendu qui vont libérer, enfin, tous les mots qui l'étouffent.

Alors Antoine se met à écrire les mots libérés : il les aligne, les ordonne sur des papiers collés aux murs dans une fièvre incontrôlée. Il sait, maintenant, que pour exister, les mots doivent être écrits pour être lus.

De cette histoire intimiste, ancrée dans une réalité sociale de lutte et de rébellion, l'auteure, de son écriture poétique et sensuelle en fait un vibrant hommage à la liberté et à la littérature.

Editions Actes Sud 2011 (198 pages)

Jeanne Benameur
   écrivain français, est née en Algérie, en 1952, d'un père tunisien et d'une mère italienne.
   Elle arrive en France à l'âge de 5 ans et vit à La Rochelle.
   Elle écrit d'abord pour la jeunesse. Quelques titres de ses romans :
   Ca t'apprendra à vivre 1998 (Seuil)
   Les demeurées 2001 (Denoël)
   Les mains libres 2004 (Denoël)
   Présent ? 2006 (Denoël)
   Laver les ombres 2008 (Actes Sud)

fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Benameur   
www. evene.fr/.../jeanne-benameur-20998php

lundi 9 mai 2011

Le monde sans vous de Sylvie Germain

 L'absence jamais ne se comble !

C'est pendant son voyage dans le Transibérien, en juin 2010, que Sylvie Germain convoque poètes, conteur et shaman pour un ultime adieu à sa mère disparue.
Sibérie, terre lointaine, gardienne de corps fossilisés retrouvés pratiquement intacts après des millénaires, si loin de la terre familière qui vient, à son tour, d'accueillir le corps de sa mère.
Terres similaires, parallèles qui exacerbent les souvenirs et la douleur de l'absence et nous plongent au coeur de l'intime sans jamais le violer.

A ces "Variations sibériennes", l'auteure associe "Kaléïdoscope ou notules en marge du père" déjà publié en 1988 dans un ouvage collectif.

Le songe de Constantin, de Pierro della Francesca, c'est "le chemin de traverse" que choisit l'auteure pour évoquer son père, être lumineux à la voix "légèrement sourde, calme et douce", "pétri des choses de la terre", narrateur amoureux des mots, "orpailleur du langage".
A l'âge de 11 ans, il découvre Vézelay et la démesure de sa beauté, et au hasard d'une lecture le désert de Mauritanie qui le hantera mais qu'il n'aura jamais l'occasion de voir.
Toute sa vie, il posera sur le monde son regard d'enfant simple et confiant.

"Alors lui, le fils, s'est retrouvé soudain dejeté hors de son âge, saisi par un chagrin d'orphelin. Dorénavant nul vivant ne se tient en amont de sa vie. C'est son tour de prendre la place d'amont, et de veiller sur la mémoire, et de haler le nom des morts le long des jours, et de transcrire les fragments sauvegardés des récits de leurs vies à l'intérieur du texte de sa propre existence. Son tour est venu de devenir passeur.
Passeur d'enfance et de mémoire, passeur de mots et de regard." (pages 106-107)

Un récit avec lequel on n'en a jamais fini. Qu'il faut lire, relire encore pour saisir toute la beauté et la poésie de son écriture. Livre de chevet qu'on ouvre, au hasard, pour en savourer toute l'émotion, et y trouver apaisement et sérénité.

Editions Albin Michel, 2011 (130 pages)

Sylvie Germain est née en 1954 à Châteauroux.
Années 70, études de philosophie avec Emmanuel Levinas
1986-93, séjourne en Tchécoslovaquie où elle enseigne la philosophie et le français à Pragues
Depuis 1994 activité littéraire uniquement.
Pour une bibliographie complète et très abondante consulter le lien suivant

fr.wikipedia.org/wiki/Sylvie_Germain