samedi 25 août 2012

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver de Jean-Paul Goux

                                   Quand un lieu habite la vie d'un homme !

   Dernier d'une lignée de quatre architectes, l'auteur évoque les trois générations qui l'ont précédé et analyse l'empreinte que leurs vies ont laissée sur la sienne.

   L'Embardée, c'est sur cette petite place que Louis Marien, en 1877, choisit de construire un immeuble en forme de U. Le cinquième étage composé d'appartements reliés entre eux sera réservé à la famille : Louis et Emile son fils y logeront. L'auteur n'y a jamais vécu, il "était déjà ailleurs" quand ses parents ont décidé de s'y installer.
   Mais il connaît bien les lieux. Enfant, le jeudi quand il visitait ses grand-parents, il en explorait la vastitude, impressionné par le dédale des couloirs, leur géographie compliquée, les portes dérobées, aimanté par le balcon courant le long de la façade. C'est la-haut, près du ciel et des nuages qu'il vivra ses premiers émois artistiques.
   L'année de ses vingt ans, il reviendra y passer "un glorieux mois d'hiver" qui le "tient encore sous son emprise". Il découvrira la bibliothèque et le cabinet de travail, deux pièces aveugles imaginées par Louis et Emile Marien, lieux de mémoire voués "à la nuit et aux lumières du dedans".

   De ses visites de la ville, commentées par son professeur, il retiendra que Louis et Emile ont été des architectes reconnus. En revanche,"toute la laideur qui a envahi nos villes en l'espace d'une génération, elle est l'oeuvre de la génération de nos pères." On l'aura compris, la préoccupation de l'auteur sera de ne jamais ressembler au sien.

   Ses parents,"ce monstre à deux têtes", enfermés dans un conformisme de classe, ligotés par l'obsession du paraître, mère castratrice et père obtus, toujours dans l'interdiction, cacheront derrière un faux-semblant de liberté, l'habitude de l'humilier et de le désavouer. Système éducatif qui le conduira à l'auto-censure et au désir de passer inaperçu et de vivre "incognito".

   "Vous n'avez pas connu l'appartement de l'Embardée. Ils s'en sont débarrassés, l'été dernier, comme on jette un vieux matelas, sans rien dire, sans même me prévenir, et pas parce qu'ils auraient cru que ça ne pouvait me toucher, uniquement parce qu'ils savaient très bien à quel point ça devait m'atteindre." (p.9)

    L'auteur s'appuie sur une écriture d'une densité et d'une richesse peu communes. Les analyses précises et pointilleuses, quand il est dans l'évocation des personnages, deviennent descriptions "géométriques" et professionnelles quand il nous décrit les lieux et leur architecture. Si parfois l'écriture peut sembler nous submerger de détails, elle ne devient jamais pesante ou ennuyeuse.

   Editions Actes Sud 2005 (188 pages)

   Jean-Paul Goux est né en 1948. Il a enseigné la littérature à l'université de Tours Il vit à Besançon.
                        - Le montreur d'ombres est son 1er roman
                         -Les champs de fouilles : Les jardins de Morgante 1989
                                                               La commémoration 1995
                                                               La maison forte 1999
                          -Les quartiers d'hiver : L'Embardée 2005
                                                             Les Hautes falaises 2009
                                                             Le Séjour à Chenecé 2012

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