jeudi 19 juin 2014

Un ciel rouge le matin de Paul Lynch





    Pour son premier roman, l'écrivain irlandais confie qu'il en a puisé l'inspiration dans un fait divers : la découverte, il y a 5ans, près de Philadelphie d'une tranchée dont 57 corps furent exhumés. Les corps de 57 ouvriers du rail qui venaient du même village, dans le comté de Donegal. Certains étaient morts du choléra, les autres avaient froidement été exécutés. C'était en 1832, Coll Coyle aurait pu être l'un de ces ouvriers !

    Quand débute l'histoire Coll Coyle, métayer sur une propriété anglaise, apprend sans aucune       explication qu'il est renvoyé et qu'il doit, avec femme et enfant, quitter les lieux sans tarder. Impensable rébellion, il ose  demander au fils du maître les raisons d'une telle décision. Face à la morgue de celui-ci qui refuse de répondre,  la colère l'envahit, l'entretien dégénère et il le frappe d'un coup de poing à la mâchoire : "... l'homme titubant recule et s'effondre contre un mur. Son crâne  en heurtant la pierre fait entendre un bruit mat, l'os a cédé, un flot de sang jaillit..." Irréversible situation qui condamne Coyle à la fuite poursuivi par Faller, le cruel contremaître du domaine et ses deux acolytes décidés à ne pas s'avouer vaincus.
    Commence alors une impitoyable chasse à l'homme, le vrai sujet du roman.
     En Irlande Coyle traverse une région inhospitalière de tourbes et de marécages dans le froid et la faim, arrive à Londonderry où il embarque avec d'autres migrants pour une traversée éprouvante
dans la crasse, la promiscuité et la peur du naufrage. Arrivé en Amérique, il est recruté par un individu sans scrupules pour construire le chemin de fer dans la chaleur et la poussière pour un hypothétique salaire de misère. Un travail de bagnard, non loin de Philadelphie, où les hommes tombent terrassés par un travail inhumain ou par le choléra.
    Soutenu par l'espoir de revoir sa femme et sa petite fille dont il garde au fond de sa poche le ruban qui attachait ses cheveux, il continue d'avancer hanté par l'inéluctable arrivée de Faller qui, il en est certain, saura le retrouver.

    Si l'auteur se réclame de William Faulkner, certains l'ont comparé à Cormac McCarthy. Le rapprochement me semble un peu rapide mais peut s'expliquer par la similitude des thèmes : des hommes en cavale pourchassés comme vulgaire gibier dans la violence et la détermination de poursuivants dénués de toute pitié. Si l'écriture de McCarthy, plus sèche, plus nerveuse, est dépouillée à l'extrême, ses personnages cernés au plus près ont une épaisseur qui manque à ceux de Paul Lynch qui, parfois, se laisse aller à un lyrisme inutile et dérangeant dont l'emphase ne peut que desservir l'intensité du récit. J'éviterai de me demander comment Faller, en 1832, a pu retrouver la trace de son fugitif aussi facilement et aussi rapidement ?
    Minimisant ces réserves, on ne peut que constater, que l'auteur se révèle être un remarquable conteur qui d'une plume captivante transforme ce scénario sans grande originalité en récit tout bonnement fascinant et au dénouement particulièrement réussi.

    Editions Albin Michel 2013 traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso 2014 (285 pages 20€)

vendredi 6 juin 2014

Standard de Nina Bouraoui

     Après "Appelez-moi par mon prénom" paru en 2008, j'ai attendu six ans pour renouer avec l'oeuvre de Nina Bouraoui.
    L'auteure aborde ici le genre "socio-politique", met en scène un loser, Bruno Kerjen originaire de Saint-Malo aussi terne et ennuyeux qu'une journée de crachin breton.
    "Bonnes ou mauvaises, Bruno Kerjen n'aimait pas les surprises, menant une existence qui ne devait pas l'éloigner du canevas qui s'était tracé malgré lui au fil des années, qu'il avait fini par accepter...
    Son existence était pareille à une coutume. Il en faisait usage comme tant d'autres avaient fait avant et feraient après lui. Il n'avait rien d'unique, on ne lui proposait rien d'unique, glissant sur des rails, dans un sens puis dans l'autre, avec pour seul repère le temps qui passe."
    Il avait quitté la Bretagne pour habiter Vitry et prenait chaque jour le RER pour aller bosser place d'Italie chez Sépélec où il assemblait des composants électroniques. Bien faire son travail mais refuser tout avancement, regagner son appartement pour des soirées solitaires, se goinfrer de pizzas, se soûler à la bière, se masturber en écoutant une spécialiste au téléphone, c'était là son quotidien qu'il n'avait pas l'intention de changer.
    Pas de femme, pas d'enfants, il avait toujours fait en sorte de ne pas s'impliquer sentimentalement. Quand son père meurt brutalement, il revient à Saint-Malo où il semble plus ennuyé que peiné. Il retrouve Gilles son pote et quand ils évoquent les années passées et la blonde Marlène du lycée, Bruno s'empresse de chasser ce souvenir qui le perturbe.
    Bruno Kerjen, anti-héros, l'expérience aurait pu être intéressante. Au début, l'histoire bien conduite, cernant de près son personnage, finit par s'étirer de page en page, donne l'impression au lecteur de faire du sur place et devient alors carrément répétitive et ennuyeuse. J'ai en vain cherché dans ce roman qui m'est tombé des mains à la 75ème page, la Nina Bouraoui qui m'avait charmée par son lyrisme, ses accents de sincérité quand elle criait sa révolte, ses colères et quand elle évoquait avec sensualité ses émois amoureux, par son écriture très personnelle souvent sous influence autobiographique qui la nimbait d'authenticité.
    Je fais probablement partie, même si je m'en défends, des lecteurs qui attendent des auteurs qu'ils apprécient continuité et permanence leur déniant, peut-être ainsi, la possibilité d'évoluer. Ce qui est certain, c'est que je vis toujours très mal l'abandon d'une lecture, c'est pour moi un échec, mon échec, pas forcément celui de l'écrivain.

    Flammarion 2014, 284 pages, 19€