vendredi 17 octobre 2014

L'autoroute de Luc Lang


    Un soir d'octobre, à Orchies dans le Nord, la vie de Frédéric a basculé parce que le train d'Armentières bloqué par les intempéries n'est jamais arrivé, parce qu'Alfred a changé d'avis et que Thérèse et Lucien venus l'accueillir l'ont attendu en vain, parce que tous les trois sont entrés au café de la gare et que Thérèse, suivie de Lucien est venue s'asseoir à sa table...
    "Elle avait dû voir dans mon regard un peu perdu que c'était le moment d'entrer dans ma vie..."
    Thérèse n'est plus très jeune, si elle n'est pas jolie, son humanité lui confère une beauté qui ne s'affiche pas d'emblée. Difficile de résister à sa générosité enveloppante qu'elle noie sous un flot continu de paroles. Quand elle propose au "voyageur" de l'héberger, médusé, comme engourdi il ne pense même pas à refuser.
    "...quand je songe à la manière dont j'ai basculé dans leur monde, définitivement, sans un mot, sans un sursaut, sans..."
    Au matin, il découvre le château délabré et son jardin tout près de l'autoroute, fait plus ample connaissance avec ses hôtes, et accepte de rester puisque Thérèse lui a trouvé du travail.
    Rencontre avec ces plaines, lieux de perdition totale (dixit l'auteur) où les machines monstrueuses arrachent à la terre lourde et grasse les betteraves le jour et la nuit dans le froid et le bruit atténué par le jazz que Frédéric écoute au casque, le son poussé au maximum. Le jazz, musique de résistance et de nuit !
    Découverte d'un monde à part qui ne serait rien sans Thérèse qui en est l'âme et qui fredonne des blues quand elle se croit seule, que Lucien observe d'un oeil attentionné comme pour la protéger d'une vie qui l'habite encore. Quand un soir, Thérèse ira rejoindre l'autoroute qui la fascine avec ses glissières et ses lumières qui strient la nuit, Frédéric se reprochera de n'être resté que ce qu'il a toujours été au long de cette histoire un spectateur et cette nuit, tout particulièrement, un spectateur tétanisé par la délirante beauté du spectacle.

Générosité, tendresse, Thérèse ne peut accepter d'y renoncer, comme elle ne peut oublier le souvenir de ce qu'elle a été et quand ce souvenir revient la hanter elle ne résiste pas au bonheur de faire revivre son passé.
    L'auteur nous avait réjouis avec son précédent roman, Mother, le portrait d'une mère "déjantée" qui vivait une relation fusionnelle avec son fils. L'autoroute n'est pas moins réussi, il nous offre encore une fois un splendide portrait de femme d'une humanité peu commune.

   Editions Stock 2014, 142pages (16'50€)