jeudi 28 août 2014

Dans le grand cercle du monde de Joseph Boyden

    "Toute ma vie j'ai voulu écrire ce roman, mais j'ai compris que je n'en serais pas capable avant d'en avoir écrit d'autres."

    Un recueil de nouvelles et deux romans plus tard il publie ce livre, 2ème volume de la trilogie qu'il consacre à la famille Bird de la communauté indienne des Crees.
    En 2005, la publication du 1er volume, Le chemin des âmes, accueilli avec succès, l'avait propulsé au rang des écrivains importants de la littérature canadienne anglophone.
    D'origine indienne par sa mère, il a grandi dans la région où se déroule le roman. C'est un livre sur mon histoire précise-t-il et sur l'histoire du Canada et du Nord-Américain au XVII ème siècle quand débarquent de France les Jésuites venus évangéliser un peuple "sauvage" soutenus par un gouvernement français bien décidé à en tirer profit.

    Deux cultures riches de leur passé, de leurs coutumes et de leurs croyances ne peuvent que s'affronter dans l'incompréhension et la violence. Des dieux incompatibles, des visions fondamentalement opposées, la perspective chrétienne qui pense que l'homme maître de la planète peut en disposer à sa guise alors que le peuple indien ne pense en être que le simple dépositaire avec toutes les limites de respect et de préservation que cela impose. Les indiens savent d'instinct que la nature peut devenir leur pire ennemi, les "corbeaux" l'apprennent vite à leur dépens.

    "La réussite se mesure de différentes manières. Il y a la chasse réussie. La moisson réussie. Et pour certains, la moisson des âmes réussie. Nous observons tout cela, fascinés et effrayés. Oui, nous avons vu tout cela arriver et, oui, nous avons souri parfois, mais le plus souvent nous étions remplis d'inquiétude. Le monde cependant doit changer. Ce n'est pas un secret."

    Trois narrateurs, un blanc et deux indiens sont les conteurs de cette histoire compliquée par les luttes perpétuelles exacerbées par l'arrivée des européens que se livrent les Hurons et les Iroquois. Oiseau, grand guerrier huron, Chutes de neige jeune adolescente iroquoise et Christophe jésuite français sont les trois "je" qui monologuent à tour de rôle.Trois témoignages historiques, humains qui éclairent le vivre au quotidien des indiens, leurs guerres tribales, le rôle des Jésuites et de la France dans le Canada en devenir.
    Si parfois j'ai été révoltée par l'intrusion, le terme me semble faible, que les missionnaires ont imposée aux "sauvages", je dois mettre à leur actif le courage dont ils ont su faire preuve : quand ils partaient, c'était rarement avec un billet de retour, ils en connaissaient les risques et savaient que la torture, chez les indiens, n'est pas un vain mot. Mourir pour sa foi n'est pas à la portée de tous, les "sauvages" le savaient et respectaient leur courage.  

    Une écriture réaliste, poétique, émaillée d'expressions indiennes : les bois-charbons, les maisons-longues, Piquants-de-Porc -Epic, Petite Oie, Renard...immergent le lecteur dans un monde inconnu qui peut le dérouter mais parfois forcer son admiration. Les scènes de torture difficilement supportables risquent de déranger certains. Qu'il soit porté par le chant de mort d'un indien ou le cantique d'un chrétien l'ultime sacrifice empreint d'une indéniable grandeur n'en reste pas moins discutable à nos yeux.

    "Nous menons tous nos propres guerres, des guerres pour lesquelles nous serons jugés. Certaines, nous les menons dans les forêts proches de chez nous, d'autres dans les jungles lointaines ou dans de distants déserts brûlants. Nous menons tous nos propres guerres, aussi vaut-il peut-être mieux ne pas juger, car il est rare que nous sachions pourquoi nous nous battons avec autant de sauvagerie."

    Un grand livre aux qualités romanesques évidentes et d'une cuisante actualité.

Editions Albin Michel 2014, traduit de l'anglais (Canada) par Michel Lederer. 597 pages, 23,90€
The Orenda 2013 Canada.









   

dimanche 3 août 2014

l'Exception d'Audur Ava Olafsdottir

    C'est par cette troisième publication que j'aborde l'oeuvre de l'auteur. Ses deux précédents romans (Rosa Candida, l'Embellie) favorablement accueillis par la presse et les lecteurs, j'attendais donc beaucoup de cette rencontre. L'enthousiasme n'était pas au rendez-vous !
     Maria et Floki mariés depuis 11 ans, parents de deux jumeaux  de 2 ans sont l'image même du couple parfait. Pourtant, le soir de la Saint-Sylvestre Floki annonce à sa femme qu'il la quitte pour aller vivre avec son amant.
    "-Tu es l'exception de ma vie, dit-il. Je me sentais bien avec toi mais je savais que ça ne pourrait pas durer éternellement."
    Une femme qui n'a rien vu venir,  qui espère le retour de son mari déterminé à n'en rien faire, une voisine consolatrice et psychologue, des parents compréhensifs, des amis navrés, tous ces personnages évoluent sans faire de vagues dans une nuit polaire qui ne laisse place à la lumière que quelques heures par jour.    L'auteur accumule, en dernière partie, des révélations qui font du mensonge la base même du roman, alors que la passivité et la naïveté de Maria en font la victime idéale. C'est l'histoire d'une destruction sans révolte et sans colère, d'une reconstruction rythmée par les gestes du quotidien décrits avec sensibilité et minutie.
    Pas mal écrit, pas vraiment ennuyeux, il manque à ce roman islandais le peu de relief qui atténuerait l'impression d'uniformité qui pèse sur le récit.
    D'aucuns ont parlé de poésie, personnellement, je ne l'ai pas rencontrée. Malgré ces réticences je reste persuadée que le livre saura trouver ses aficionados.
   
    Editions Zulma 2012 traduit en français par Catherine Eyjolfsson en 2014 (338 page-20€)