dimanche 27 novembre 2011

La femme du tigre de Téa Obreht

A tous ceux qui croient encore aux histoires incroyables.

La rentrée littéraire peut être aussi cela pour le lecteur curieux et fouineur : la découverte d'un premier roman, pépite noyée dans le flot pléthorique des parutions. Publication qui valut à son auteure âgée de vingt-six ans d'être, en 2011, la plus jeune lauréate de l'Orange Prize.

Pour apprécier totalement ce livre, il est bon de préciser que Téa Obreht est née en 1985 à Belgrade, dans une Serbie malmenée par la guerre. Après avoir vécu à Chypre puis en Egypte, elle émigre aux Etats Unis à l'âge de douze ans où elle réside actuellement.

Elle nous entraîne à la suite de Natalia, jeune médecin, de retour dans les Balkans, pour une campagne de vaccination dans un orphelinat. Immergée dans le pays de ses origines, elle ne peut que constater les cicatrices laissées par la guerre, les difficultés et la lenteur de la reconstruction. Happée par les souvenirs, elle revit les instants, lorsqu'elle n'avait que quatre ans, partagés avec son grand-père médecin lui aussi. Il l'emmenait régulièrement au zoo, où ils rendaient visite au tigre qui le fascinait. A chaque sortie, ils faisaient des pauses qu'il mettait à profit pour lui lire des passages du Livre de la Jungle dans cette vieille édition qui ne quittait jamais sa poche.

Mais surtout, il lui racontait des histoires pleines de mystère, celle du "boucher-musicien", du "chasseur d'ours" Darsa, de "la femme du tigre", de "l'homme-qui-ne-mourra-pas" et celle de la complicité incroyable de "la sourde-muette" et de l'enfant de neuf ans.

 En Europe centrale Natalia se trouve confrontée à un folklore encore très vivace  qui véhicule des croyances et des supertitions ancestrales profondément ancrées qui s'opposent aux progrès de la science et les refusent.

En jouant de ce télescopage entre deux mondes, en juxtaposant un passé difficile à oublier et un présent qui a du mal à se reconstruire, l'auteure nous sert un livre qui, même si parfois il manque un peu de clarté, (c'est un premier roman je le rappelle) se consomme avec gourmandise. Ne boudons pas notre plaisir, écoutons ses histoires à dormir debout !

[...]Le tigre de mon grand-père vit là, dans une clairière où l'hiver ne se termine jamais. [...]Tout est mort dans sa mémoire, hormis la femme du tigre, alors il se lance à sa recherche, certains soirs, en poussant un cri, une note tendue dont l'intensité décroît à n'en plus finir. Une note solitaire, grave, que plus personne n'entend. (page 330)

Editions Calmann-Lévy 2011 (331 pages)
The tiger's wife  traduit de l'anglais (américain) par Marie Boudewyn

www.lemonde.fr>livres

www.lexpress.fr/...:tea-obreht

vendredi 11 novembre 2011

Désolations de David Vann

Tragédie glaçante en Alaska, hostile et dur à l'homme en quête de réussite.

En 2010, David Vann marque la rentrée littéraire en obtenant le prix Médicis étranger pour Sukkwan Island. Une consécration méritée pour son premier roman traduit en français : écriture aboutie, intrigue bien menée, atmosphère angoissante qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page.

Un an après, le voici de retour avec un nouveau roman : Désolations. Même décor, l'Alaska, seule l'île a changé. Tout se joue ici sur Caribou Island au milieu de ce lac véritable mer intérieure soumise aux eaux démontées, aux vents violents des tempêtes qui rendent la navigation impossible.

Cette fois, pas de huis clos entre un père et son fils adolescent. L'auteur mêle l'histoire de quatre couples et nous conte, en particulier, le face à face de Gary et d'Irène, véritable confrontation après trente années de vie commune et de questions non résolues.

Gary, malgré les réticences d'Irène, a décidé de construire une cabane en rondins sur cette île afin qu'ils y passent l'hiver : rêve d'un éternel insatisfait, toujours en quête d'expériences plus ou mons bien préparées et pas forcément réalisables. Irène le suit, sans enthousiasme, espérant sauver leur couple à la dérive. Sous le regard inquiet et critique de Mark et Rhoda, les enfants qu'ils ont élevés au bord du lac, l'arrivée précoce de l'hiver et les migraines douloureuses d'Irène vont pertuber et compliquer leur projet.

D'une écriture souple et précise, l'auteur nous promène de descriptions d'une nature impitoyable quand elle se déchaîne, belle et poétique quand elle se calme, aux évocations bouleversantes des doutes et des ressentis des personnages. Dans ce deuxième roman, pas de drame à la page 113, pas de déflagration, mais une insidieuse montée dans l'absurde d'un non-retour et le constat que la vie de couple est bien souvent enfermement et solitude.

Par un long crescendo délirant et insoutenable, le roman s'achève en apothéose, scène finale digne d'un opéra vériste où la nature reprend ses droits et refuse à l'homme la consolation et la rédemption qu'il attendait d'elle.

Editions Gallmeister 2011 (304 pages)
Caribou Island, traduit de l'américain par Laura Derajinski

David Vann : est né en 1966 sur l'île Adak en Alaska
             il vit en Californie où il enseigne à l'université de San Francisco.
             Sukkwan Island est son premier roman traduit en français.

www.gallmeister.fr/livre?livre id=517

www.lexpress.fr/culture/.../desolations-de-david-vann 1017282.htlm