mardi 25 octobre 2011

Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard

" Je pense que ma soeur était un chemin perdu au-dessus de la mer." Paul (page 234)

J'attendais le livre de la rentrée, celui qui me clouerait à ses pages, m'apporterait enfin l'émotion que j'attends d'une nouvelle lecture. L'émotion qui emplit le liseur de bonheur par la perfection de son écriture, qui comble son attente par des personnages qui continuent de l'habiter le livre refermé.

Les solidarités mystérieuses, c'est tout cela ! Mais c'est aussi ce petit coin de Bretagne dans le département qu'on disait autrefois Les Côtes du Nord et qu'on appelle maintenant Les Côtes d'Armor pour ne pas effrayer le touriste.

C'est donc à quelques encablures de Dinard et de Saint-Malo que Claire fait retour au pays de son enfance, oubliant sa vie parisienne de traductrice. Peu à peu, elle se rapproprie les lieux, le petit port de pêche coincé entre les vagues et la falaise, les rochers de granite battus par le vent, la lande giflée par des pluies violentes, la mer et la fascinante beauté de ses colères qui font que ses eaux deviennent noires.

Bien sûr, elle retrouve ses amies d'enfance et leur complicité intacte, son professeur de piano qui lui lèguera une vieille ferme noyée dans les arbres au milieu de la lande marécageuse. Surtout elle retrouve Simon, le seul, l'unique, l'amour de sa jeunesse qu'elle n'a jamais oublié. Au fond, ne serait-ce pas pour lui qu'elle est revenue ? Mais Simon n'est plus libre : il est marié,  père d'un enfant malade.

Claire arpente pendant des heures la lande, épie Simon lovée dans un recoin de la falaise, observe la mer et ses humeurs. Elle sombre peu à peu dans l'absence aux autres, devient partie intégrante d'un lieu qui la phagocyte, la rend presque invisible. Tout ceci, avec la complicité muette de Paul, son frère venu la rejoindre, et sous le regard compréhensif et bienveillant de Jean, le curé compagnon de Paul, de Juliette la fille qu'elle a abandonnée il y a fort longtemps, du Père Calève amoureux de sa lande et de bien d'autres encore qui apporteront, chacun à sa manière, les détails indispensables à la compréhension de l'histoire de Claire.

"J'aimais Paul et j'admirais le couple que le frère et la soeur formaient. J'étais émerveillé devant la solidité du lien qui les unissait. Rien de ce que l'un ou l'autre pouvait faire n'était capable d'altérer l'affection qu'ils se portaient. Rien de ce qu'ils avaient pu connaître au cours de leurs métiers, mariages, démissions, divorces, ni le frère ni la soeur ne voulaient l'examiner. Et surtout, en aucun cas ils n'auraient voulu le juger. Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse." Jean (page185)

Une fuite qui ne laisse rien au hasard puisqu'elle est retour à la terre originelle."Terre mère" avec laquelle elle a toujours gardé un lien indéfectible. Terre de contemplation, de méditation, de dénuement volontaire afin d'accéder à la paix et au repos.

A partir de la mort de Simon ce fut la paix. Une paix étrange, totale, vint sur Claire. Une paix inentamable atteignit Claire. Il en est allé ainsi de tous les jours qu'elle vécut à partir de là. Tout était accompli et elle survivait simplement à cet accomplissement. Ou plutôt elle participait à cet accomplissement. Elle errait encore dans le monde après son amour, regardant de loin son amour comme si tout était fini depuis longtemps. Elle avançait sur la lande où elle achevait son parcours. [...]Claire était devenue Simon et était devenue le lieu." Paul (pages230-231)

D'une écriture débarassée du superflu, précise mais évocatrice, où chaque mot est pensé, essentiel, l'auteur donne tant de vie à la lande que le lecteur ne serait pas surpris de voir apparaître les goules et les korrigans des vieilles légendes bretonnes.

Une histoire romanesque qui nous parle de l'amour, de l'amour impossible, celui que l'on cache, de la solitude, de la mort, en un mot de la vie.



Editions Gallimard 2011 (252 pages)

Pascal Quignard :
   23/04/1948 naissance à Verneuil-sur-Avre dans l'Eure. Son père est proviseur, sa mère principale de collège. Enfance difficile : périodes de mutisme et d'anorexie. Musicien, s'essaie à différents instruments.
   1966-1968 études de philosophie à Nanterre. Ses professeurs : Emmanuel Levinas et Paul Ricoeur. Condisciple : Daniel Cohn-Bendit.
   1969 travaille aux éditions Mercure de France et Gallimard.
   1990-1993 préside les concerts des Nations aux côtés de Jordi Savall
   1991 crée, sous la houlette de François Mitterand, le festival international d'opéra et de theâtre baroques au château de Versailles.
   1994 se consacre entièrement à l'écriture.
   1997 hospitalisé pour une crise cardiaque. Expérience qui change sa façon d'écrire : mêle tous les genres. "En moi tous les genres sont tombés".

Bibliographie :
   1976 Le Lecteur
   1976 Carus (Prix des critiques)
   1986 Le salon de Wurtemberg
   1989 Les escaliers de Chambord
   1991 Tous les matins du monde (Film d'Alain Corneau avec Marielle et Depardieu)
   1994 Le sexe et l'effroi
   1997 Vie secrète
   2000 Terrasse à Rome (Grand prix du roman de l'Académie française)
   2002 Le dernier royaume : publication des 2 premiers volumes dont
            Les ombres errantes (Prix Goncourt)
   2005Le dernier royaume Publication de 2 autres volumes
   2006 Villa Amalia (Film de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert)
   2009 La barque silencieuse volume 6 de Dernier royaume.
   2011 Les solidarités mystérieuses.

http://.wikipedia.org/wiki/Pascal_Quignard/

www.comme-un-roman.com/...:pascal-quignard.html

jeudi 13 octobre 2011

L'obligation du sentiment de Philippe Honoré

      "Familles je vous hais !" (André Gide)

C'est dans un restaurant à l'ambiance feutrée, musique douce et service discret, que Jeanne et Louis vont mettre un terme à leur histoire. Comment ce couple exemplaire, image du bonheur parfait et de la réussite sociale en est-il arrivé là ? Quel événement a pu provoquer une rupture aussi soudaine et impensable il y a seulement quelques heures ?

Martin, le fils qu'ils ont voulu oublier, qu'ils ont souhaité ne plus jamais revoir, pourquoi Martin, après dix années de silence, leur a-t-il donné rendez-vous à l'aéroport avant son départ ? Que leur veut-il ? Pourquoi sont-ils ressortis anéantis de cette entrevue ?

L'auteur déroule au fil des pages, l'histoire de ce couple irréprochable, totalement fusionnel, dont l'harmonie sera pertubée par la venue d'un enfant.

Le lecteur surfe sur les apparences, cherche les failles d'une telle perfection. Une vie si parfaite qu'elle en devient inhumaine, glaciale, une vie sans tendresse où l'enfant ne trouve pas sa place.

Bien qu'envahi par un profond malaise provoqué par l'atmosphère dérangeante de ce roman, le lecteur ne peut qu'en continuer la lecture happé par cette écriture froide, précise, sans fioriture, à l'image de ce qu'elle nous raconte.

Editions Arléa septembre 2008 (123 pages)

Philippe Honoré est né le 25 novembre 1941 à Vichy.
Dessinateur de presse et illustrateur il adapte des oeuvres littéraires pour la scène. (Gide, Proust, Fassbinder etc...)
Ancien directeur de théâtre (Scènes du Jura et L'Onde à Vélizy-Villacoublay) il réalise sa 1ère mise en scène en 1984.
   En 2001 il publie un récit : La Mère prodigue (Ed. du Bord de L'eau)
   En 2008 L'Obligation du sentiment (Arléa)
Actuellement, il est directeur de la librairie Honoré à Champigny.

www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Honore/184626

http://lesaffiniteselectives.eu/spip.php?article24