samedi 9 mai 2015

A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harchi

    "A l'origine notre père obscur" est le troisième roman de cette française, d'origine marocaine, née à Strasbourg en 1987. Il fût précédé en 2009 de "Zone cinglée" (Ed. Sarbacane) et de "L'ampleur du saccage" en 2011 publié chez Actes Sud.
    Une histoire intemporelle sans lieu, sans date où les personnages n'ont pas d'identité :
    "... une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l'obscurité des forêts, une maison entourée d'un terrain vague, construite à l'écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d'isoler d'autres femmes, la maison des délits du corps où l'on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d'y passer des années, par la seule force de l'enfermement.
    Il faudrait dire : l'emmurement."
    Le Père... absent, la Mère omniprésente et absente à la fois qui se "désagrège" peu à peu et sombre dans la folie. La fille née dans cette maison y a grandi redoutant les caresses envahissantes de ces femmes en mal d'enfant, quémandant celles que sa mère est devenue incapable de lui donner. La Fille spectatrice involontaire de vies que, les années passant, elle finira par comprendre et dont elle se fera la narratrice.
    Une prison sans barreaux et sans geôliers. Les traditions, les règles familiales sont les garants de leur obéissance et de leur passivité. Pas une seule de ces femmes n'oserait ouvrir la porte et s'en aller. Tous les jours chacune espère, sans révolte, l'hypothétique pardon qui mettrait fin à sa réclusion.
    Le temps passe et la Fille se révolte devant l'ambigüité de l'attitude des femmes, "... car il y a en la Mère, comme en chacune des femmes qui vit ici, une forme de complaisance à être enfermée, à être punie sans réelle raison, dans leur chair, dans leur âme, à être humiliée de la sorte..." Les preuves ne sont pas nécessaires, la calomnie a force de loi et la famille condamne sans appel. Les femmes punies aujourd'hui condamneront peut-être d'autres femmes demain. "Celles qui, vous savez, maintiennent vivante la tradition avec un tel engagement, une telle fougue, qu'on les croirait être des hommes."
    Bouleversée par la souffrance et le désarroi de sa mère, quand celle-ci meurt la Fille quitte la maison pour aller vivre dans la maison du Père sans oublier de remercier la Mère : "Merci de m'avoir appris, en m'aimant de si loin, en m'aimant si peu, en m'aimant si mal, à devenir ma propre mère, à m'aimer moi-même." Viatique précieux pour affronter la noirceur du monde qui l'attend.
    Performance de l'auteure qui avance par petites touches, les phrases parfois brèves accentuent le rythme du récit et lui confèrent un sentiment d'urgence qui plonge le lecteur au sein du choeur "antique" des femmes muselé par les non-dits. Un choeur qui chuchote, crie, hante les lieux du bruit des portes qui se ferment sur les corps devenus prisons et symboles de leur misère. L'introspection subtile, habilement menée piège totalement le lecteur qui accompagne la Fille jusqu'au bout de sa terrible histoire.
    "Mais la bouche du Père est restée close et toute la vie, qui vient de si haut, qui vient du ciel, ce sera ce silence."

     Editions Actes Sud 2014 (164 pages-17,80€)


vendredi 8 mai 2015

Le dernier voyage !

    Aujourd'hui, tu aurais eu 90 ans ! Quelle fiesta nous aurions pu faire. Mais tu l'avais déjà eu ton plus bel anniversaire le 8 mai 1945 avec l'armistice en cadeau pour tes 20 ans : la fin de la guerre fêtée en Allemagne où tu étais parti avec la Division De Lattre de Tassigny raccompagner l'occupant chez lui. Je sais que pour toi ce fût une journée mémorable au souvenir un peu embrumé par les vapeurs d'alcool !
    Apaisée mais non résignée par ces 18 années de solitude je n'accepte pas encore que tu aies dû embarquer sans moi pour cette ultime traversée.
    Je me console en constatant que nous avons eu de la chance parce que, si le bateau a essuyé quelques tempêtes, nous avons toujours su et pu redresser la barre. Et que tu le veuilles ou non, tu   m'accompagneras jusqu'au bout de mon voyage.

    J.M.