samedi 31 octobre 2015

Otages intimes de Jeanne Benameur

    Une jaquette flamboyante, un titre qui ne laisse pas indifférent, difficile d'ignorer le dernier roman de l'auteure qui aime inscrire ses intrigues dans une actualité parfois cuisante : les problèmes ouvriers chez Arcelor-Mittal et ceux de Godin dans "Les insurrections singulières" (2011), un chirurgien à la retraite qui engage quatre auxiliaires de vie pour l'accompagner jusqu'à la fin de son existence dans "Profanes" (2013) ... Rien d'étonnant qu'elle choisisse de mettre en scène un otage.

 "Il a de la chance. Il est vivant. Il rentre."
    Etienne, photographe de guerre, est dans l'avion, il revient au pays après plusieurs mois de captivité en Afrique ou en Orient (?). Plus tout à fait prisonnier mais pas encore libre, il n'ose croire à sa libération. Quand il comprend que c'est bien en France que l'avion va atterrir, déconnecté par l'isolement qu'il vient de subir, il est saisi d'appréhension à l'idée d'affronter la réalité d'un retour difficile à gérer.
    Pendant le vol qui le ramène vers la liberté il évoque ceux qui l'ont accompagné pendant sa réclusion et ceux qu'il avait laissés en partant et qu'il avaient convoqués pour habiter sa solitude et attendre la fin hypothétique de son épreuve.
    Et c'est tout naturellement au pays, dans le giron de la maison familiale qu'il part se reconstruire où Irène, sa mère, se met au piano pour lui dire avec les notes les mots qu'il n'est pas encore prêt à entendre. Il retrouve Enzo, l'ébéniste taiseux qui fait chanter le bois comme il fait chanter son violoncelle et Jofranka "la petite venue de loin" avocate à La Haye qui défend les femmes victimes de guerre. Le trio de leur enfance reconstitué, Etienne va peut-être pouvoir envisager de recommencer à vivre.

    Un roman sensible écrit dans la simplicité et la fraîcheur qui laisse au lecteur le temps d'entrer dans la solitude des personnages, dans leur révolte et surtout dans l'intime de leur ressenti. Le livre refermé, le lecteur est persuadé que l'otage n'est pas toujours celui que l'on pense et qu'au final, nous sommes souvent les otages intimes de ceux que nous aiment !


    "Avec Otages intimes, le questionnement était : quelle part de nous est toujours prise en otage ? Tous, nous sentons parfois qu'un territoire en nous reste inexploré, fermé. Ces espaces dont nous ne sommes pas libres appellent parfois. Il faut souvent ce qu'on nomme "une crise" pour y aller voir ... se risquer à découvrir."
              J.B.

    Actes Sud Août 2015 (192 pages - 18 80 €)