dimanche 13 janvier 2013

Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari

    Le titre peut paraître rébarbatif, mais le roman est passionnant doté d'une "écriture" que l'auteur module pour passer de la réflexion à une verdeur débridée selon les nécessités de l'intrigue.
    C'est l'histoire du petit bar d'un village corse menacé de faillite par une succession de repreneurs incompétents. Déçus par des études de philosophie à la Sorbonne et peu convaincus de leur utilité, Libéro et Matthieu, nés au village, décident de tenter leur chance et de le racheter.
    Forts des expériences désastreuses de leurs prédécesseurs, ils projettent d'élargir la clientèle des chasseurs locaux en attirant les touristes, les vacanciers, la jeunesse des alentours en leur proposant de la musique, des filles et des heures d'ouvertures très élastiques. Succès et rentabilité assurés malgré des débordements difficiles à contrôler !
    Ce "sermon" demande au lecteur attention et patience afin d'attendre que les événements se croisent et que les personnages révèlent leur totale identité. Jérôme Ferrari, écrivain confirmé, ménage ses effets en dosant ses informations et c'est dans les toutes dernières pages qu'il rejoindra Saint-Augustin auteur du Sermon sur la chute de Rome, semant dans nos esprits l'idée que, comme le petit bar du village corse, le déclin du monde occidental est peut-être commencé ?

    "Le monde est comme l'homme : il naît, il grandit et il meurt."
                                                   Sermon 81,§ 8, décembre 410.
Editions Actes Sud 2012 (Prix Goncourt 2012)
   

lundi 7 janvier 2013

Les lisières de Olivier Adam

     Comment construire sa vie quand on est un "être périphérique" ?

    Depuis six mois, chaque dimanche soir Paul Steiner reconduit Manon et Clément chez leur mère dont il est séparé. Moment difficile, il le sait, parce que les enfants vont lui manquer et qu'il est toujours amoureux de Sarah qui lui a demandé de quitter la maison, lasse de le porter, impuissante à le retenir de sombrer. Pourtant leur arrivée en Bretagne avait sembler donner sens à la vie de cet écrivain et scénariste de quarante ans, mais c'était sans compter avec "La Maladie" qui l'avait rattrapé.

    "... je m'en rendais compte à présent, depuis une douzaine d'années je n'avais fait que ça, fuir la douleur et la dépression, tenter de la semer en m'éloignant, tenter de la noyer dans l'eau de mer, tenter de l'ensevelir sous des tonnes d'amour et l'obligation de tenir et d'être debout que vous intimait le fait d'être père." (p.161)

    Appelé au chevet de sa mère hospitalisée, Paul revient dans cette banlieue parisienne où il est né, pour veiller sur son père, ancien ouvrier peu bavard, qui l'accueille sans grand enthousiasme. Il retrouve aussi son frère vétérinaire, marié à une avocate, avec qui il n'avait que d'épisodiques contacts.
    De retour dans le quartier où il a grandi, Paul va replonger dans ses souvenirs, renouer avec ses anciens copains de collège qui s'en sortent plus ou moins bien, revoir les filles qui habitaient ses rêves d'adolescent. Retrouver les femmes et les hommes qu'ils sont devenus et constater qu'il a eu de la chance et qu'il s'en est plutôt bien sorti.

    "Mon enfance, les territoires où elle a eu lieu, la famille où j'ai grandi m'ont défini une fois pour toutes et pourtant j'ai le sentiment de ne pas leur appartenir, de ne pas leur être attaché. Les gens, les lieux. Du coup c'est comme si je me retrouvais suspendu dans le vide, condamné aux limbes." (p.338)

    Et voici Paul assis entre deux mondes : celui de son enfance dont il s'est exclu et celui de son travail où il n'a pas su totalement s'intégrer. Ligoté par le remord d'avoir renié l'un au profit de l'autre, il navigue en "lisière", toujours en fuite à la recherche d'une identité et d'un lieu où habiter sa vie.

    "...Ecrire avait toujours été pour moi le seul moyen de me connecter au monde, de le sentir, d'en éprouver la texture, de m'assurer de son existence, et de la mienne au passage..." (p.22)

    Le salut de l'auteur serait donc dans l'écriture, occasion de se remettre en question, de reconsidérer sa vie. Une démarche qui n'est pas sans risques mais qui lui permet, aussi, de puiser matière pour nourrir ses romans : "je ne fais pas de l'autobiographie mais tout trouve racine dans ce que j'ai pu observer au cours de ma vie."*

    Sans se priver de fustiger la société toujours pressée de catégoriser tout un chacun en l'enfermant dans une classe sociale dont il ne pourra s'extraire que difficilement, Olivier Adam témoigne avec lucidité et pertinence des dérives sectaires de certaines de nos institutions. D'une écriture alerte et vivante, il captive le lecteur avide de connaître la fin de son histoire.

Editions Flammarion 2012 (454 pages)
*(Réponse donnée par l'auteur à François Busnel, interview publiée dans Lire, sept. 2012)

    Olivier Adam est né en 1974 à Draveil où il a grandi. Après avoir vécu à Paris, il s'installe dans les environs de Saint-Malo. Il publie : Je vais bien, ne t'en fais pas (Dilettante 2000), Passer l'hiver (Goncourt de la nouvelle 2004), Falaises, A l'abri de rien (Prix France/télévision 2007 et prix Jean-Amila-Meckert 2008), Des vents contraires (Prix RTL/Lire 2009) et Le coeur régulier chez l'Olivier (2011)
fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Adam_(écrivain
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