dimanche 19 février 2012

Le sillage de l'oubli de Bruce Machart

   C'était au temps du western quand les hommes ne valaient pas plus que les chevaux qu'ils montaient.

   Nous sommes au Texas en 1895. L'histoire commence une nuit de février, un homme fonce à cheval pour chercher du secours, sa femme va mettre au monde leur quatrième enfant. Il sait que cette fois le temps est compté et qu'il risque de revenir trop tard. Si la sage-femme sauve le nouveau-né, l'issue sera fatale pour la mère. Vaclav Sarki ne se remettra jamais de la mort de sa femme. Enfermé dans sa douleur il se transformera en père mutique et violent.

   Donc ils sont quatre, quatre frères orphelins élevés dans une ferme au milieu de nulle part. Sur cette terre qu'il faut conquérir sans relâche, ils deviennent au fil des années une main-d'oeuvre soumise au père exigeant, qui a banni affection et tendresse de sa vie. Ce sont eux, les quatre fils, attelés comme des bêtes à la charrue qui creusent les sillons dans la révolte et la colère.

   "C'était un vrai bagne, un travail inutile qui les rendait fous de rage, mais au moins, liés par ces courroies de cuir, ils partageaient le même ressentiment au même instant à l'égard du même homme, une sorte de rancoeur que la peur les empêchait d'exprimer." (page 221)

   Reste à Vaclav Sirka, la passion pour ses chevaux et les courses qu'ils sont susceptibles de gagner et en gagnant de lui rapporter encore et toujours plus de terres, enjeux des paris qu'il lance à ses voisins fermiers. Il a sous la main, un cavalier hors pair, totalement à l'écoute de ses intentions et de ses conseils : Karel. " Mon dernier, les gars, je vous jure qu'il serait capable de vous faire voler un âne à coups de cravache." Malgré son jeune âge le gosse a du talent, monte avec plaisir et un sens inné de la course, éperonné par la possibilité d'être, enfin, reconnu par le père et d'acquérir quelque importance à ses yeux.

   "La vérité, Karel la savait même s'il n'était pas capable de la mettre en mots, c'était que le cheval désirait la cravache comme lui appelait de ses voeux la lanière de cuir de Vaclav, la morsure cuisante et nette d'une attention sans partage, le seul contact physique qu'il ait connu avec son père."
       (page 33)

   Né au Texas, élevé dans une ferme, l'auteur sait l'exigence de ces terres qui broient les hommes et les cassent. Il connaît le poids de la solitude qui les amène très souvent à se réfugier dans l'alcool, la violence et le sexe. Son écriture sensuelle sent la terre, les labours, les chevaux et le tabac, et pas un instant ne tombe dans la facilité et le pathos. Si je précise que j'ai lu ce livre en pensant à "La trilogie des confins" de Cormac McCarthy, c'est pour moi faire un compliment. M'est revenu aussi en mémoire, mais de façon un peu plus confuse parce que la lecture en fût plus lointaine, "Mon Antonia" de Willa Cather. En ajoutant que "Le sillage de l'oubli" est un premier roman, que Bruce Machart me semble être un écrivain prometteur, j'espère que j'aurai su vous donner l'envie de le lire.

     Editions Gallmeister 2012 (335 pages)   The wake of forgiveness 2010
                                                          Traduit de l'américain par Marc Amfreville

   Bruce Machart -42 ans- est né au Texas. Son père était fermier dans une région proche de l'endroit où se déroule "Le sillage de l'oubli". Il vit à Hamilton dans le Massachusetts;

www.gallmeister.fr/livre?livre_id=522