lundi 23 décembre 2013

Le milieu de l'horizon de Roland Buti

  
         L'été 1976, l'été où Gus a soudain basculé dans le monde des adultes !




     On s'installe dans une histoire somme toute assez banale, un instant de vie rurale écrasée par la chaleur d'une canicule exceptionnelle dans une ferme familiale en Suisse. 
    Gus raconte ses grandes vacances. Maintenant âgé de 13 ans, il doit participer aux travaux de la ferme avec son père et Rudy. Chaque journée défile invariablement rythmée par la traite des vaches et les soins aux poulets de l'élevage, le dernier investissement du fermier pour s'en sortir. Quand il en a terminé avec les bêtes, si sa mère ne sollicite pas son aide, il dessine, s'isole et lit en particulier Spirou dont il attend chaque semaine la parution avec fébrilité.
    Pas très réjouissantes ces vacances ! Un père paysan fier, bourru et peu bavard, une mère fine et effacée qui étonne dans cet environnement et semble attendre on ne sait trop quoi, une soeur qui rêve d'une vie loin de la ferme, Rudy, le cousin un peu simplet à l'âme d'enfant qui ne rechigne pas à la besogne à condition qu'on ne perturbe pas son quotidien ! Gus sait que ce n'est pas par eux qu'arrivera l'imprévu susceptible de rompre la monotonie des journées. Bien sûr, il y a Mado l'amie d'enfance, la dévergondée du village, qui lui tourne autour, l'accapare et suscite en lui les premiers émois d'une sexualité naissante.
    Et cette chaleur qui plombe la nature toute entière, accentue chaque jour un peu plus le mal-être des hommes et des animaux, assoiffe la terre et crée une sournoise angoisse qui ne dit pas encore son nom. Le monde perd ses repères et attend.

    "Epuisant été que cet été de 1976 au-dessus de nos têtes ! Nous étions rentrés en fin de matinée et, après avoir passé mon temps à lire et a dessiner, je m'étais assis sur le muret du jardin avec mon oiseau sur l'épaule. La lumière a agonisé avec une lenteur désespérante avant qu'une immense ombre tiède d'un seul tenant n'enveloppe enfin notre maison et que tout devienne plus proche, plus intime autour du périmètre délimité par le corps des bâtiments, le mur du potager et les barrières de fils barbelés. Le soleil avait laissé derrière lui une coulée de chaleur qui continuait à peser sur la terre. Ma colombe se reposait les yeux mi-clos, prostrée dans la dignité ancestrale des oiseaux qui ne font que s'ennuyer lorsqu'ils ne virevoltent pas dans les airs." (p.91)

    L'arrivée de Cécile dans sa Renault orange va secouer l'apathie générale. C'est à la poste du village où elle travaille, qu'elle a rencontré la mère de Gus, elles sont devenues amies et ne vont plus se quitter. Moderne et délurée, s'assumant totalement, son arrivée perturbe la vie paisible de la ferme qui peu à peu se fissure sous le regard interrogateur de Gus. La féminité provocante de la jeune femme l'attire mais il reste sur ses gardes et observe avec une prudente réserve. La vérité finira par éclater. Ajoutée aux conséquences de la sècheresse, elle plongera la ferme dans le chaos. Plus rien ne sera comme avant et Gus entrera brutalement dans le monde des adultes.

    "Je suis resté un long moment dans la cuisine a regardé l'armoire, la table imposante, les chaises et la huche à pain béante. J'ai ensuite regagné ma chambre à la vitesse d'un escargot sous le soleil de midi. Je portai sur mon dos la ferme de mes parents, une coquille bien trop lourde pour ma petite carcasse." (p.60)

    Une famille qui se défait, une ferme qui se meurt sous un soleil implacable, le parallèle est évident et judicieux. Dès les premières pages l'auteur laisse sourdre une inquiétude, une angoisse qui va inexorablement s'amplifier. Les poulets tombent comme des mouches, la terre crie sa soif, l'électricité devient palpable, la nature et les hommes se sont figés dans l'attente d'un orage libérateur.
    C'est avec minutie et délicatesse que l'auteur dépeint cette lutte inégale que l'homme n'a aucune chance de gagner. Pudeur et sensualité sont les qualités essentielles de ce livre à la fois roman d'initiation  et hommage à un monde rural qui se bat désespérément pour subsister.

    Editions Zoé 2013 (186 pages)

    Roland Buti est né à Lausanne le 25 janvier 1964. Enseignant il vit à Lausanne et consacre son temps libre à sa carrière littéraire.
  • 1990, Les âmes lestées, nouvelles E. Zoé
  • 2004, un nuage sur l'oeil, roman E. Zoé
  • 2007, Luce et Célie, roman E. Zoé

  

mercredi 27 novembre 2013

Une enfance de Jésus de John Maxwell Coetzee


   




       Et si la clé de ce conte moderne était dans le titre ?

    Ils étaient arrivés par la mer, s'étaient connus sur le bateau, avaient transité par Belstar où ils étaient restés trois semaines. Au camp, on s'était empressé de les dépouiller de leur passé, de leur donner un nouveau nom, comme pour mettre leur compteur à zéro avant qu'ils ne commencent une nouvelle vie : l'adulte est devenu Simon, âgé de quarante cinq ans et l'enfant, David âgé de cinq ans. Ils ont appris des rudiments d'espagnol pour faciliter leur intégration. D'où venaient-ils, où avaient-ils atterri ? L'auteur ne le précise pas ! Sur le bateau, le vent avait emporté le papier permettant à David de retrouver sa mère. Simon lui avait promis de la chercher. En attendant de la trouver, il  adopte provisoirement l'enfant.
    De Belstar ils partent pour Novilla où l'administration leur attribue un logement et procure un travail de docker à Simon. Ils font la connaissance d'Elena et de son fils Fidel, les enfants jouent ensemble et les deux "familles" se lient d'amitié. La vie coule sans heurts, sans problèmes, sans affects. Est-ce là un nouvel Eldorado ou tout simplement un monde déshumanisé par une bureaucratie omniprésente ?

    "...Elena est une femme intelligente, mais elle ne voit pas ce qu'il y a de double dans le monde, elle ne voit pas la différence entre l'apparence des choses et ce qu'elles sont réellement. Une femme intelligente, une femme admirable aussi, qui a fait d'une vie matérielle des plus étriquées - travaux de couture, leçons de musique, tâches ménagères - une vie nouvelle, une vie à laquelle elle prétend - à juste titre ? - qu'il ne manque rien.Même chose avec Alvaro et les dockers : il ne décèle jamais chez eux aucune aspiration secrète, aucun désir lancinant d'un autre genre d'existence. Lui seul est l'exception, lui, l'insatisfait, l'inadapté. Quel est donc son problème ? N'est-ce, comme le dit Elena, que l'ancienne façon de penser et de sentir qui n'est pas encore morte en lui, qui s'agite et se rebiffe dans ses dernières affres ?" (p.38)

    Simon n'oublie pas sa promesse. Au hasard d'une promenade à la Résidencia il assiste, en compagnie de David, à une partie de tennis entre une jeune femme et ses frères. La regardant évoluer, Simon a soudain l'intuition, la certitude qu'il a enfin trouvé une mère pour David. D'abord réticente à une aussi surprenante proposition celle-ci, en mal d'enfant, finira par accepter ce fils tombé du ciel.

    "Elena elle est sa mère. Je suis arrivé dans ce pays démuni de tout, hormis une conviction inébranlable : je reconnaîtrais la mère de l'enfant dès que je la verrais. Et dès l'instant où j'ai posé les yeux sur Inès j'ai su que c'était elle." (P.118-119)

    Au début, Inès se conduit en mère possessive, régresse David à l'état de bébé, l'éloigne de son environnement habituel, évince le plus possible Simon atterré par son attitude. C'est alors qu'il prend la juste mesure de son attachement à l'enfant. Avec le temps, Inès acceptera qu'il exerce son rôle d'oncle-parrain et le laissera participer à son éducation.
    L'enfant, intelligent, se révèle réfractaire à un enseignement classique préférant évoluer dans un monde parallèle dont il est le seul à avoir la clé. Attitude inacceptable dans une société où chaque individu est programmé pour tenir le rôle qui lui est assigné. Décrété inadapté, il sera envoyé dans un centre spécialisé sans que sa mère et Simon puissent s'y opposer. La séparation, véritable déchirement pour tous les trois, déclenchera des événements inattendus.

    C'est un livre de dialogues à la fois déroutant par les nombreuses questions qu'il pose, agaçant parce que celles-ci restent toujours sans réponses. Mais l'intérêt du lecteur est porté, jusqu'à la fin, par la qualité exceptionnelle de la relation nouée entre l'homme et l'enfant.
    "Une enfance de Jésus"? Au fil des pages j'ai cherché en vain la signification de ce titre. C'est en refermant le livre que j'ai réalisé que je venais tout simplement de lire un conte "biblique". L'évidence de cette révélation en donne la pleine et entière justification. Aux futurs lecteurs d'en distribuer les rôles !

    Editions du Seuil 2013 (380 pages)
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga Du Plessis.

    John Maxwell Coetzee, romancier et professeur de littérature sud-africaine, naturalisé australien et d'expression anglaise.
Il est né au Cap en Afrique du Sud le 2 février 1940. Prix Nobel de littérature en 2003.







dimanche 10 novembre 2013

Parabole du failli de Lyonel Trouillot


En Haïti, trois mousquetaires des temps modernes armés de silence et de mots ! 

    Un journaliste qui songe au grand oeuvre qu'il écrira peut-être un jour, qui sort, quelquefois, avec Josette réceptionniste au journal, mais reste réticent à officialiser une relation un peu trop plan-plan pour lui.
    Un prof de maths passionné de poésie qui essaie d'oublier un père qui l'a éduqué en maniant la rigoise*avec dextérité et assiduité. L'Estropié, ainsi nommé parce qu'il a une jambe plus courte que l'autre et marche avec une canne, partage avec le journaliste, ils sont aussi fauchés l'un que l'autre, la modeste maison que celui-ci a héritée de ses parents.
    Pedro le comédien, les deux colocataires ont croisé sa route un soir en rentrant du cinéma.

    "Nous grimpions la colline en devisant sur tout et rien .Et toi, tu chantonnais, assis sur le parvis de l'église. En nous voyant tu as arrêté de chanter, tu as ôté ton chapeau pour nous faire une courbette et tu nous as lancé un vers de Baudelaire : Homme libre, toujours tu chériras la mer... L'Estropié a continué : ... la mer est ton miroir.[...] Tu as pris ta diacoute*et ton chapeau de paille, et tu nous as suivis jusqu'au deux-pièces."(p38)

    Sans poser la moindre question, ils ont adopté le fils chassé par un père qui avait renié l'artiste qu'il était devenu. Ils ont accepté ses disparitions inexpliquées, ont géré ses humeurs, ses peines et ses imprévisibles débordements. Ils ont respecté ses silences et patiemment encaissé ses délires, ils l'ont accompagné quand il risquait de mettre sa vie en danger. Pedro le mal-aimé descendu des beaux quartiers pour déclamer, dans la zone de Pointe-Noire, les poèmes de Baudelaire, Eluard, Pessoa et donner ainsi un sens à sa vie.
    Puis un jour, sans crier gare, il est parti vivre sous d'autres cieux où poussent les immeubles de douze étages, où son talent sera enfin reconnu.

    "Oui. Ce soir où la station des nouvelles étrangères a annoncé qu'un garçon de chez nous s'était jeté du douzième étage d'un immeuble d'une grande ville, que les causes de son suicide n'étaient pas connues, [...] L'Estropié et moi, nous avons regardé le matelas sur lequel tu ne te coucherais jamais plus. Nous l'avions laissé à sa place pour le jour où tu reviendrais. L'autre, quand il revient, il convient qu'il retrouve les choses du coeur à la même place. Comme une preuve qu'il nous a manqué." (p 18)

    Sans attendre, le journaliste lui adresse une longue lettre pour lui crier leur désarroi, leur incompréhension, leur colère aussi. Pourquoi partir si loin ? Ils auraient su le retenir, continuer à le protéger des autres et de lui-même. Il lui rappelle leur complicité, leurs disputes, les soirées de palabres où l'alcool faisait tanguer le deux-pièces comme un bateau. Il lui dit aussi comment ils l'ont épargné en faisant silence sur leurs propres problèmes et leurs chagrins et regrettent de ne pas avoir su lui expliquer combien il comptait pour eux.

    Les deux amis sont chargés d'organiser l'hommage qui lui sera officiellement rendu. Pour ce faire, le journaliste a droit à plusieurs colonnes dans l'unique quotidien de Port-au-Prince. L'Estropié a récupéré chez Mme Armand le manuscrit où Pedro avait réuni ses poèmes sous le titre de Parabole du failli avec la ferme intention de les utiliser pour la cérémonie. Plus qu'une cérémonie, c'est une véritable apothéose où ses mots vont enfin trouver une place méritée !

    On connaît la force de l'écriture de Lyonel Trouillot qui rend hommage à un peuple qui n'en finit jamais de lutter contre l'échec et la pauvreté. Des phrases qui, empreintes d'une pudeur extrême, font mouche et en disent plus qu'il n'y paraît. Un style marqué d'une pointe de créolité qui nous enchante et qui nous rappelle que, sur son île, il reste le garant et le défenseur de la francophonie.

    *Rigoise : fouet de nerfs de boeuf.
    *Diacoute : sac en paille porté en bandoulière.

    Editions Actes Sud, Août 2013 (190 pages)

    Lyonel Trouillot  est né le 31 décembre 1956 à Port-au-Prince en Haïti.
Issu d'une famille d'avocats, il fait des études de droit mais est vite rattrapé par son intérêt pour la littérature.
  • L'Amour avant que j'oublie 2007
  • Yanvalou pour Charlie 2009
  • La Belle Amour humaine 2011
  • Le Doux Parfum des temps 2013
Ces quelques romans sont publiés chez Actes Sud

   




   

vendredi 25 octobre 2013

La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson

    "Bientôt, ma Belle, j'embarquerai pour le long voyage qui nous attend tous."  

     Un vieil homme revient sur son passé et raconte par le truchement d'une lettre ce que fût sa vie de paysan éleveur de brebis dans une Islande de collines, de landes et de pâtures.
    Un long monologue adressé à Helga, la femme qu'il a passionnément aimée, qu'il n'a jamais oubliée, dont il s'est volontairement séparé pour ne pas mourir à lui-même et continuer la vie qui devait être la sienne.
    Je n'en dirai pas plus afin de ne pas amputer le plaisir des futurs lecteurs. Qu'ils sachent simplement, que l'auteur manie avec discernement poésie et réalité, qu'il inscrit son histoire dans un quotidien qui n'est jamais pesant parce qu'ancré dans une nature omniprésente qui commande à la vie des hommes. La vraie vie, celle vécue par des gens simples qui ont le courage d'assumer leur choix jusqu'au bout.
    En un mot une lecture clairvoyante qui respire la joie, la santé ... et les regrets de ce qui a été manqué.

    Editions Zulma 2013, traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson.

 Bergsveinn Birgisson est né en 1971. Titulaire d'un doctorat en littérature médiévale scandinave, il porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l'Islande.



dimanche 6 octobre 2013

Le coeur de l'homme de jon kalman Stefansson


    Après Entre ciel et terre (2010) et La tristesse des anges (2012), Le coeur de l'homme termine la trilogie islandaise de l'auteur.

    Le gamin, son parcours initiatique est le fil rouge de la trilogie. Dans le premier volume, il voit mourir son ami Barour qui lui avait transmis sa passion des livres. Dans le second volume, il part avec Jens le postier pour une tournée improbable et périlleuse. En cours de route, Hjalti qui se joint à eux pour ramener au village le cercueil d'une jeune femme en vue d'un enterrement décent disparaîtra englouti par la neige. Epuisés, Jens et le gamin sont victimes d'une avalanche qui leur laisse peu de chance de s'en sortir indemnes.

    Dans ce troisième volume, nous sommes toujours en Islande, au XIXème siècle, sur cette île au climat extrême, aux hivers interminables, aux printemps éphémères et aux étés sans nuit où la campagne de pêche rythme la vie du port.
    Nous retrouvons nos deux miraculés qui émergent d'un long sommeil réparateur. Par un heureux hasard, ils ont atterri sur le toit de la maison d'Olafur le médecin qui s'est chargé de les remettre sur pieds. Enfin rétablis et le dégel venu, ils regagnent chacun leur village, non sans regret pour le gamin très ému par la jeune femme rousse qui les avait soignés. Son souvenir ne cessera de le hanter.
    C'est à l'auberge de la veuve Geirbruour, femme émancipée qui sait tenir tête aux hommes et aux éléments, que le gamin trouve refuge et rencontre tous ceux qui vont l'aider à se construire : Gisli, le directeur des écoles, Helga, Andréa qui abandonne Pétur son mari au coeur sec, Olafur, Högni, Rakel qui a peur des hommes, Sigurour le médecin, Kolbein le capitaine aveugle et sa bibliothèque, lieu de toutes les convoitises pour le gamin sans instruction devenu amoureux des livres et des mots. Bien d'autres personnages, plus ou moins influents, gravitent autour de lui étoffant le tableau réaliste et foisonnant du village.

    L'auteur excelle dans l'évocation poétique d'une nature dure aux hommes qui impose sa loi et ne pardonne aucune erreur. Epopée lyrique où les personnages luttent pour une survie rendue hypothétique par la rudesse des hivers, la violence des éléments et la pauvreté.

    Comment peut-on survivre en un pays où le printemps libérateur assassine les faibles ? Où un hiver interminable et noir pèse comme un couvercle sur l'esprit des gens où l'été aux nuits claires vous déçoit si souvent, que faut-il pour survivre à tout cela ? (p.63)

    Avec sensibilité il dit les doutes, le temps qui passe, les rêves, l'espoir d'une vie meilleure. Avec subtilité il fait entendre la voix des morts gardiens de la sagesse et de la transmission tout en nous maintenant dans la réalité d'un siècle et d'un pays qui font que la vie, pour certains islandais, se transforme en cauchemar.

    ... Il tombe de la neige fondue, tout est mouillé, tout devient gris, la mer s'ébroue et les noyés parlent du printemps, de ces nuits où tout est clair, lorsque le monde se change en éternité bleue et quelque part , à une profondeur de soixante-dix mètres, son père est assis et les poissons se cognent doucement à son visage, il s'imagine être encore vivant au lieu de reposer, noyé, au fond de la mer et il imagine qu'elle l'embrasse, des baisers froids, donné sous soixante-dix mètres d'eau, les os de son crâne craquent sous le poids de l'océan, ce poids qui le maintiendra au fond, dans la solitude de la mort, pendant l'éternité, une éternité de ténèbres, à moins que le gamin ne se mette à vivre. (p.82) 

    Ce troisième roman, le plus long de la trilogie, aurait sûrement gagné à être un peu allégé dans sa partie centrale. La fin m'a semblé s'éterniser comme si l'auteur ne pouvait se résoudre à quitter ses personnages ?  

    Editions Gallimard 2013, traduit de l'islandais par Eric Boury

Les lecteurs intéressés peuvent retrouver sur le blog les articles sur
     Entre ciel et terre, publié le 03/07/2011
     La tristesse des anges, publié le 11/05/2012
ainsi qu'une biographie de l'auteur.




vendredi 30 août 2013

La classe de rhéto d'Antoine Compagnon

"On a beau croire qu'une vie est déjà écrite, l'écriture dérouille les souvenirs les plus refoulés."

    Eté 1965, l'auteur a 15 ans. Il quitte Washington pour entrer au Prytanée militaire de La Flèche. Après le décès de sa femme en 1964, son père le général Jean Compagnon attaché militaire en Allemagne, inscrit ses enfants en internat provoquant ainsi l'éclatement de la cellule familiale.
    Changement radical pour l'auteur qui, sans transition, passe d'un collège libéral américain à une institution militaire où discipline et obéissance sont les maîtres mots.

    Propulsé dans ce "bahut", au milieu d'Anciens qui sont là depuis des années - certains y sont entrés à dix ans - l'adaptation, compliquée d'un bizutage pour les nouveaux, s'avère difficile et démoralisante.  Le face-à-face avec les gradés est souvent tendu à l'extrême. Le règlement ne souffre pas la contestation et les initiatives personnelles.

    "En quelques mois, j'avais perdu l'usage du monde, le sens des choses de la vie. Le bahut était une société à part, un univers en soi, qui s'emparait de vous, vous happait, et auprès duquel l'autre monde perdait toute raison d'être au point que vous ne vous y sentiez plus à votre place."

    "Au bahut, on était au bout du monde, enfermé, isolé, sans contact avec le dehors..." Facile dans ce contexte de conditionner des enfants et des ados qui n'avaient pas toujours choisi d'être là. Encadrés par des sous-officiers plus ou moins perturbés par ce qu'ils avaient vécu en Indochine et en Algérie, semblables sous l'uniforme, ils étaient tous les victimes potentielles d'une discipline qui devait niveler les personnalités.
     
    "... La décision de rejoindre la communauté des fortes têtes, j'en suis convaincu, me sauva pourtant la vie...". Seule échappatoire où solidarité et camaraderie donnaient le courage de résister, où amitié n'était pas un vain mot !
    Mais ce n'était pas suffisant ; "si certains, les plus coriaces, avaient survécu à l'ordre serré, aux rassemblements, aux consignes, aux commandements, c'était grâce à une marotte secrète, un amour clandestin, une manie plus forte que le règlement."
    Bien que la lecture soit "jugée aussi dangereuse qu'une drogue par ses supérieurs" les livres ont accompagné l'auteur tout au long de ses quatre années, fenêtres ouvertes sur le monde dont il était exclu.

    Mai 68 n'avait pas apporté de changement au fonctionnement de l'institution. Avec le temps, les choses ont fini par évoluer et changer. Mais au bout de combien d'années ?
    En 2010, le Prytanée invite l'auteur à présider la fête de la Trime. Replongé dans un vécu dont il ne sait jamais totalement remis, s'impose à lui l'envie de raconter cette année en classe de rhéto pour régler définitivement ses comptes avec le passé ?

    Editions Gallimard 2012 (329pages)

Impossible de ne pas penser à l'Année de l'éveil (Editions P.O.L.) En 1989 Charles Juliet y relate une expérience identique, encore plus dévastatrice. En 1945, à dix ans il entre à l'Ecole des enfants de troupe à Aix où une discipline de fer ne laisse aucune chance aux élèves d'en sortir sans séquelles. Il mettra des années pour se reconstruire et devenir l'écrivain reconnu qu'il est désormais.

    Antoine Compagnon : né en 1950 grandit à Londres, Bruxelles et Washington.
En 1965, il entre au Prytanée militaire. Fils et petit-fils de militaires il choisira pourtant L'Ecole Polytechnique.Ingénieur il s'orientera très vite vers la littérature.
Il est nommé à La Sorbonne en 1994 puis au Collège de France en 2006.
Un été avec Montaigne (Editions des Equateurs) est sa dernières publication en 2013. 

«Dans "la Classe de rhéto" j’ai retrouvé une voix d’adolescent» - Libération 14/11/2012


Antoine Compagnon - Librairie La Procure

jeudi 1 août 2013

Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia Couto.

    C'est un livre bavard, un dialogue permanent, un festival de mots écrit dans un langage imagé et savoureux, l'histoire d'une agonie en chambre close.
    Bartolomeu, ancien mécanicien sur un bateau, irascible en diable, ne va pas tarder à se "définitiver". Sa femme Dona Munda supporte ses humeurs et ses exigences persuadée qu'il est "désarrivé" à sa fin. "Dans  Vila Cacimba, on la connaît comme semi-veuve ... on anticipe le désévénement".
    Sidonio Rosa l'étrange médecin portugais qui le soigne n'est pas là par hasard. Il espère, grâce à Bartolo et  Munda, ses parents, retrouver Deolinda cette Mozambiquienne qu'il a connue à Lisbonne lors d'un congrès médical et avec qui il a eu une aventure. Mais sa mère reste toujours évasive quand elle répond à ses questions : elle n'aurait pas terminé son stage, elle ne sait pas quand elle doit revenir ?
    Bien d'autres personnages habitent ce roman et viennent étoffer le tableau vivant et coloré de ce pays. Certes, l'auteur a du talent, il a aussi une parfaite connaissance de l'Afrique et du Mozambique en particulier. C'est là qu'il est né, de parents portugais, et c'est là qu'il vit. Les mots sont le sel de son écriture, l'émergence d'un bon sens populaire qui malgré les souffrances endurées laissent encore place au bonheur de vivre.
    "Peut-être est-ce l'épaisseur de ce ciel qui fait tant rêver le Cacimbais. Rêver est une façon de mentir à la vie, une vengeance contre un destin toujours tardif et rare."

    Editions Métailié 2013
    Venenos de Deus, remedios do diablo 2008, traduit du portugais (Mozambique)
    par Elisabeth Monteiro Rodriguès.

mercredi 17 juillet 2013

Impurs de David Vann

    Les deux premiers romans de David Vann, Sukkwan Island et Désolations se déroulent dans le grand froid de l'Alaska, Impurs dans la fournaise de l'été californien. Le suicide de son père est à l'origine du premier, la maltraitance de sa grand-mère par son grand-père du troisième. Dans chaque histoire, une cabane isolée, qu'elle soit lieu de reconstruction, de discorde ou de réminiscence.

    Tout avait donc commencé quand "le grand-père avait créé cette famille à son image. Forgée dans la violence et dans la honte, prise dans un élan impossible à stopper." p.248
    Une maison perdue au milieu d'un immense verger de noyers écrasé de chaleur. Le grand-père est mort, la grand-mère vit dans une maison de retraite, seule Suzie-Q avec son fils Galen y réside en permanence. Hélen sa soeur vient avec sa fille Jennifer y faire de courts séjours. Les deux  soeurs se détestent cordialement.

    Suzie-Q est une mère possessive. " Elle avait fait de lui une sorte d'époux, lui, son fils. Elle avait chassé sa propre mère, sa soeur et sa nièce, et il ne restait plus qu'eux deux, et chaque jour, il avait le sentiment qu'il ne pourrait supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait." p.12 

  Galen, puceau de 22 ans oscille entre masturbation et méditation, rêve vaguement de bouddhisme et de révolte. Incurable velléitaire il cache sous une apparente docilité un désamour pour sa mère. Secrètement amoureux de sa cousine, perturbé par ses avances non déguisées d'allumeuse à la perversité affirmée, sa vie devient un enfer quand elle est là.

    Toute la famille décide de partir passer quelques jours dans "la cabane : c'est là qu'il pouvait réfléchir. Il s'était étendu à cet endroit des heures durant chaque été, toute sa vie, à rêver de ce qui pourrait advenir ? C'est là que tout pouvait être pensé et c'est là qu'il pouvait découvrir qui il était. Seulement à cet endroit précis." p.69
    La promiscuité va exacerber les rapports névrotiques, intensifier les ressentiments devenus incontrôlables. Le ton monte et les vacances se terminent sur un départ précipité qui ressemble à une rupture.

    Nous n'en sommes qu'à la moitié du roman !
     Quand la mère et le fils se retrouvent face à face, pour une fois, Galen ne fuit pas l'affrontement. Au fil des heures, la tension va crescendo et le huis clos devient le théâtre où se joue une tragédie. Galen en quête d'une transcendance hors de sa portée, perd peu à peu le sens des réalités. De déambulations en divagations, il retourne à la terre nourricière pour s'y fondre parce que c'est d'elle seule, lui semble-t-il, que pourrait venir sa rédemption.

    Comme toujours, l'auteur est aussi à l'aise et convaincant quand il décrit la beauté d'un paysage que lorsqu'il analyse la noirceur des sentiments. Le lecteur entend les cris, les souffrances, observe la montée des désordres, constate la progression des déviances et pressent, que sous une tranquillité de façade, la violence ne demande qu'à éclater.
     Une écriture évocatrice en diable pour un conte de la folie ordinaire !

    Editions Gallmeister 2012, traduit de l'anglais en 2013 par Laura Derajinski.(288 pages)

    David Vann est né en 1966 en Alaska. Ecrivain américain
        Sukkwan Island 2010, Prix médicis étranger
        Désolations 2011
 fr.wikipedia.org/wiki/David_Vann
www.telerama.fr › Le fil livresTous les livres




       

mardi 9 juillet 2013

Un repas en hiver de Hubert Mingarelli

Quelques lignes et vous voilà embarqué dans une aventure qui ne vous laissera pas indifférent.

    Emmerich, Bauer et le narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, sont incorporés dans la compagnie du lieutenant Graaf. Leurs prénoms nous laissent à penser qu'ils sont allemands et peut-être cantonnés en Pologne dans un collège puisque sont mentionnés un dortoir et une cour. La fenêtre couverte de givre nous apprend qu'il fait très froid.
    "Le fer avait tinté dehors" convoquant les soldats dans la cour. "Graaf, notre lieutenant, nous dit qu'il en arrivait aujourd'hui, mais tard probablement, en sorte que le travail était prévu pour le lendemain et qu'il revenait cette fois à notre compagnie."
    Un travail si perturbant que les trois compagnons d'arme se risquent à plaider leur cause auprès du commandant, lui suggérant qu'ils seraient plus utiles sur une autre mission dans la campagne environnante.
    Ils sont donc partis au petit matin dans "un froid de chien" le ventre vide, pour ne pas prendre le risque de croiser le lieutenant. Parfois, ils font une pause pour fumer : "Autour de nous il n'y avait que des champs immenses. Le vent avait fait onduler la neige, il avait construit des vagues longues et régulières que le froid avait figées depuis longtemps. Nous regardions autour de nous comme si nous étions au milieu d'une mer toute blanche."
    Les heures défilent, la faim commence à les tarauder et ils vont devoir s'inquiéter d'une solution pour cuire leurs maigres provisions et surtout, ne pas oublier de se mettre en chasse pour remplir leur mission et ne pas rentrer bredouilles au cantonnement.
    "On marchait sans y croire depuis l'aube, et voilà que les yeux perçants d'Emmerich venaient de nous l'amener." Le contrat rempli, restait à trouver un lieu. "La maison apparut derrière une rangée d'arbres. Nous n'avons pas eu besoin d'en parler. La décision était écrite dans nos ventres et le ciel glacé."
    La maison, une ruine, improbable huis-clos où vont se trouver réunis les trois soldats et leur jeune prisonnier juif. Viendra les rejoindre un Polonais antisémite véritable concentré de l'époque. Huis-clos où les personnalités vont se révéler, s'affronter et accepter de ...partager.
    L'auteur n'évoque jamais le physique de ses personnages, il veut des types ordinaires perdus au milieu de nulle part, dans un univers imprécis et vague, confrontés à une situation inhabituelle. S'il constate sans jamais les juger, il finit par éprouver pour les trois soldats devenus bourreaux malgré eux, compréhension et respect.
    Le repas, c'est l'apogée du roman, l'instant de trêve dans cette tragédie où les ventres commandent aux hommes de déposer les armes pour un court instant et de partager la maigre pitance. La preuve qui nous autorise à croire qu'il reste encore chez l'homme une petite part d'humanité.
      De son écriture subtile et patiente, l'auteur le démontre indubitablement !

    Editions Stock 2012 (137 pages)

    Hubert Mingarelli : né le 14/01/1956 à Mont-Saint-Martin en Lorraine. A 17 ans arrête l'école et s'engage pour 3 ans dans la marine? Revient à Grenoble. Vit actuellement dans Les Alpes.
  • Une rivière verte eet silencieuse, Seuil 1999
  • La dernière neige, Seuil 2001
  • La beauté des loutres, Seuil 2002
  • Quatre soldats, Seuil 2003 Prix Médicis
  • Homme sans mère, Seuil 2004
  • le voyage d'Eladio, Seuil 2005
  • Océan Pacifique, Seuil 2006 Prix Livre et Mer Henri-Quéffelec
  • Marcher sur la rivière, Seuil 2007
  • La promesse, Seuil 2009
  • L'année du soulèvement, Seuil2010
  • La lettre de Buenos Aires, Buchet-Chastel 2001 grand prix SGDL de nouvelle
  • La vague, Editions du Chemin de fer 2011
  • la source, nouvelle, Cadex 2012
Et de nombreux ouvrages pour la jeunesse

www.dailymotion.com/.../xvycgg_hubert-mingarelli-u...
www.letelegramme.fr/.../hubert-mingarelli-un-repas-en...
    
   

jeudi 20 juin 2013

La disparition de Jim Sullivan de Tanguy Viel

Quand un écrivain français décide d'écrire un "roman américain" !

    "Pendant longtemps, j'ai moi-même écrit des livres qui se passaient en France, avec des histoires françaises et des personnages français. Mais ces dernières années, c'est vrai, j'ai fini par me dire que j'étais arrivé au bout de quelque chose, qu'après tout, mes histoires, elles auraient aussi leur place ailleurs, par exemple en Amérique, par exemple dans une cabane au bord d'un grand lac ou bien dans un motel sur l'autoroute 75, n'importe où pourvu que quelque chose se mette à bouger." (p.9)

    Interpellé par l'envahissement de nos librairies par la littérature américaine, Tanguy Viel se lance un défi, écrire "un roman américain". Sous les yeux ébahis du lecteur qui devient alors son complice il entame la réalisation de son projet tout en justifiant le cheminement de sa démarche : sérier les éléments constitutifs, réunir les archétypes indispensables (un prof de Fac de cinquante ans qui revient sur sa vie, une histoire d'adultère, des guerres passée ou présente, des attentats, du trafic d'art...), ne pas oublier de ponctuer le propos de détails inutiles, de flash-backs, d'évoquer le dernier match de baseball ou de hockey sur glace, sans omettre de préciser que si le héros boit beaucoup, il a une excuse, c'est un ancien du Vietnam. Et surtout, commencer par "une grande scène où il ne se passe rien mais qui permet de présenter tout le monde".
    Ce projet ironique met en scène un narrateur qui raconte la construction du roman sans empêcher celui-ci d'avoir lieu en acceptant de s'effacer et de laisser place à l'histoire.

    "Je n'ai pas mis très longtemps à choisir la région qui servirait de décor à mon livre et notamment la ville de Détroit, dans le Michigan, qui est une vraie ville internationale ... une ville pleine de promesses et de surfaces vitrées. C'est même à ce genre de détails, me suis-je encore dit, qu'on pourra apprendre à connaître Dwayne Koster, qui est le nom de mon personnage principal, de même qu'on pourrait apprendre à connaître Susan Fraser, l'ex-femme de Dwayne Koster, puisque j'ai remarqué cela dans les romans américains, que le personnage principal, en général, est divorcé." (p.11-12)

    L'auteur peut enfin dérouler son intrigue et révéler les événements qui ont amené Dwayne Koster à passer des heures dans sa Dodge à surveiller son ex en écoutant UFO de Jim Sullivan ce mystérieux songwriter disparu en 1975 sur un bord d'autoroute du Nouveau Mexique.
    Parce que Tanguy Viel sait manipuler l'ironie avec légèreté et distanciation, la satire avec discrétion, la lecture de la première partie est tout simplement jubilatoire. J'ignore si la seconde partie est bien conforme aux normes du roman américain, mais en tant que roman français, Tanguy Viel n'aurait certainement pas à en rougir.

    Les Editions de Minuit 2013 (153 pages)

    Tanguy Viel né à Brest le 07/07/1973, pensionnaire de La Villa Médicis 2003-2004
  • 1998 Black Note
  • 2001 L'absolue perfection du crime
  • 2006 Insoupçonnable
  • 2009 Paris-Brest
Editions de Minuit

fr.wikipedia.org/wiki/Tanguy_Viel
www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=liv...

vendredi 31 mai 2013

Un notaire peu ordinaire d'Yves Ravey.

    Mr Montussaint n'est peut-être pas un notaire "ordinaire", mais dans sa commune, c'est un notable, il le sait et il le prouve. C'est lui qui a obtenu à Mme Rebernak, quand elle est devenue veuve, un poste d'agent de service au collège et c'est auprès de lui qu'elle cherche conseil et protection.
    Quand Freddy le cousin voyou, condamné pour le viol de la petite Sonia, sort de prison Mme Rebernak refuse de l'accueillir chez elle. Inquiète, elle redoute une telle promiscuité pour ses enfants : pour son fils étudiant mais surtout pour sa fille Clémence, future bachelière qui rêve d'émancipation.
    Pour réviser le bac, les lycéens se retrouvent au bord de la rivière pour travailler, se baigner et au Jolly Café pour discuter et profiter de la terrasse.Vigilante, dévorée d'inquiétude, Mme Rebernak, se déplaçant sur son cyclomoteur, exerce une surveillance attentive et tenace sur les faits et gestes de sa fille. Persuadée qu'il est une réelle menace, elle guette aussi les déplacements de Freddy ce "simple d'esprit" bien décidée à le garder à l'oeil en permanence.
    Dès les premières lignes l'atmosphère est pesante, le climat tendu et la tension s'intensifie au fil des pages. L'écriture cache, derrière une apparente simplicité, la construction savamment maîtrisée d'une intrigue appuyée sur la réalité sociale d'une petite ville provinciale, sur la justesse et la finesse de l'étude des personnages. L'auteur signe là un superbe portrait de mère déterminée à ne se fier qu'à son instinct sans jamais le remettre en question.

    Editions de Minuit 2013 (108 pages)

jeudi 16 mai 2013

Fleur de béton de Wilfried N'Sondé

    Rêver des plages de ses vacances, pleurer son frère retrouvé mort sur un parking, soupirer pour le séduisant Jason qui l'ignore et craindre les raclées d'un père malade du chômage, tristes perspectives d'avenir pour Rosa Maria dans la Cité des 6.000 où la situation se dégrade un peu plus chaque jour.
    Quand la police leur interdit d'utiliser une cave qu'ils avaient aménagée pour se réunir et danser le vendredi soir, les jeunes vont se révolter et déclencher une véritable émeute. La violence de leur déchaînement laisse la Cité sans voix. Les sanctions vont tomber, plomber le cours de bien des vies et laisser des traces indélébiles dans la mémoire de la Cité.
     Wilfried N'Sondé sait de quoi il parle, arrivé à quatre ans du Congo, il a vécu une vingtaine d'années dans ce melting pot porteur, à ses débuts, de promesses qu'il n'a pas tenues. Des phrases courtes, rythmées, parfois empreintes d'oralité portent la dynamique de ce roman et nous permet une plus juste approche de problèmes qui, s'ils nous sont parfois étrangers, sont à l'origine de conséquences insoupçonnées.

      Editions Actes Sud 2012 (212 pages)

dimanche 5 mai 2013

Pornographia de Jean-Baptiste Del Amo

     Pornographe est un emprunt (1769) au grec tardif pornographos "auteur d'écrits sur la prostitution". 1

    Jean-Baptiste Del Amo nous avait étonnés en publiant, en 2008, Une éducation libertine, un premier roman foisonnant, parfaitement maitrisé, couronné à juste titre par l'Académie Goncourt : en 1790, Gaspard fuit la Bretagne pour le Paris de la Cité prêt à toutes les compromissions pour grimper les échelons de la société.
    En 2011, paraît Le Sel : une mère réunit ses trois enfants au cours d'un dîner où chacun règle ses comptes en l'absence du père décédé mais omniprésent.

    Après un voyage à Cuba pour un reportage sur La Havane dont il rentre frustré et mécontent, il décide d'y repartir en compagnie du photographe Antoine D'Agata, dans le but de faire un livre illustré. Pour des raisons financières le projet ne sera pas finalisé, mais l'auteur garde l'idée d'un roman dont la ville sera le sujet. Ville charnelle, sublime et décatie, croulante et décadente, véritable caisse de résonance pour les corps livrés à une sexualité débridée où la misère fait de la prostitution un mal inévitable parce que seul moyen de survie pour beaucoup.

    "... Je hâte le pas en direction du front de mer, pensant que le vent me revigorera. Bien sûr, je me leurre, puisqu'il faudrait, pour retrouver la souveraineté de mon corps, quitter la ville et non m'y perdre, mais aveuglé par mon orgueil je crois l'asservir et m'obstine à arpenter ses rues engluées de crasse. Mes pas butent contre la caillasse. Sans que je sois en état de comprendre la raison profonde, la superbe de cette ville croulante me fait écho et participe à mon vertige, elle tisonne en moi une volupté inattendue et je ne marche plus désormais à la recherche d'un souffle ou d'une échappatoire, mais dans le seul but d'une jouissance physique par laquelle je me délesterais d'un poids ou de ma conscience de la ville. Je sais possible de rencontrer sur le front de mer des gitons qui, pour quelques dollars, m'aideront à sublimer le tableau sordide de mon retour au pays." (p.14-15)

    Retour au pays ! Il revient pour enterrer sa mère et, sans attendre, subit l'emprise de cette ville où la sensualité cubaine n'est pas un vain mot. Vie nocturne débridée où la mort rôde à chaque coin de rue, où la quête de plaisirs frelatés peut se révéler dangereuse. Taraudé par le désir de retrouver l'amant d'un soir, il déambule dans un état second, s'éloigne de la vraie vie, se noie toujours plus avant dans la crasse et la fange des bas-quartiers s'abîmant dans un non-être avéré sans possbilité de retour.
    Que cherche-t-il dans cette descente consentie, une identité perdue, une réponse aux questions existentielles ou, tout simplement, le désir inavoué d'un anéantissement total ?

    "Rien ne m'est familier, ni les maisons assoupies, ni l'agencement des rues. Je titube, je porte une main à mon crâne, je tâte la masse hirsute de mes cheveux. Elle ne me dit rien. Je palpe mes bras et mon ventre, énigmatiques eux aussi. Ce corps en mouvement, à l'intérieur duquel je pense, je le fais donc bouger, et je l'ai mené jusque-là, mais il pourrait appartenir à un autre où n'être qu'un tas de viande. Je tremble et la bave macule mon menton. Je porte mes mains à mon visage pour retrouver dans mon haleine, entre mes doigts, l'odeur du giton, le relent de son sexe et de son cul sous mes ongles noircis de sueur et de crasse.. (p.26-27)

    Ecrit à la première personne, l'auteur qualifie ce roman de pure invention incapable de mener à son terme une autofiction. "Je" devient alors projection et mise en jeu du moi liées à son propre regard. C'est dans ce livre qu'il s'est totalement affranchi, libéré évoquant et assumant clairement son homosexualité.2

    Ce roman incandescent, sulfureux s'inscrit dans un univers éminemment sensitif où tous les sens sont sollicités, où la sexualité est envahissante, où les corps omniprésents deviennent parfois fantasmagoriques. Ecrites sans retenue, quelques scènes peuvent s'avérer difficilement supportables et provoquer chez certains lecteurs un sentiment de rejet et de dégoût.

    "...Vivre n'a jamais été pour lui que synonyme de vivoter. Il arrive que Diego pressente sa misère plus qu'il ne la conçoit réellement, devant un téléviseur diffusant une télénovela par exemple, mais son esprit se heurte aussitôt à la normalité de ce qu'il a toujours connu, la violence et le dénuement familiers, donc préférables, l'impossibilité d'imaginer une vie autre, son incapacité à se faire figurer dans une autre peau, un autre pays, un autre destin. Sa déchéance lui est confortable et, n'ayant connu qu'elle, il ne sait désirer autre chose avec conviction. Diego est l'un de ces gosses dont l'intelligence n'est ni plus ni moins que celle nécessaire à leur survivance, un subtil mélange de sournoiserie, de brutalité et de minauderie." (p.55)

    Il n'en reste pas moins que l'auteur réussit un roman fascinant, ode à la ville, au peuple d'en-bas et de la prostitution. Parce que la trame narrative n'est pas linéaire, le lecteur garde en tête une succession d'images réalistes et fortes non dénuées d'une certaine beauté, certes, dérangeante.

    1-Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey)
    2-Le Carnet d'or, de A. Trapenard, entretien avec J.B. Del Amo (France culture 30/04/2013)

    Editions Gallimard 2013 (142pages)

    Jean-Baptiste Del Amo est né à Toulouse le 25/11/1981:
  • 2006 Ne rien faire et autres nouvelles (Buchet-Chastel) Prix du jeune écrivain de langue française.
  • 2008 Une éducation libertine (Gallimard) Prix Goncourt du 1er roman 2009
  • 2010 Le Sel (Gallimard)
  • 2010 Hervé Guibert photographe (Gallimard)
www.huffingtonpost.fr/.../pornographia-jean-baptiste-...
culturez-vous.over-blog.com/article-jean-baptiste-del-... 

lundi 8 avril 2013

Ladivine de Marie Ndiaye

    Trois femmes, trois générations, trois destins ligotés par leur origine !

    L'auteure aime nous conter des histoires de femmes. Souvenez-vous : La Sorcière (1996), Rosie Carpe (2001), Trois Femmes puissantes (2009). Dans ce roman, elle déroule le destin d'une mère, de sa fille et de sa petite fille. Trois destins qui auraient pu rester ordinaires si l'origine noire africaine de la mère - Ladivine Sylla - ne les avait marqués d'une véritable malédiction.

    Ladivine Sylla est une femme modeste, effacée qui fait des ménages à  Paris. Elle vit dans un petit logement de la banlieue avec sa fille Malinka qui n'a jamais connu son père. D'humeur toujours égale elle accomplit ses tâches sans se plaindre uniquement préoccupée du bien-être de sa "princesse". Mais, "Malinka en avait eu très tôt l'intuition, que personne au monde ne se souciait de leur existence". L'enfant va très vite comprendre qu'elle n'aime pas être "la fille d'une femme sans considération" et qu'elle en éprouve "une honte et une peur atroces". Peu à peu, le projet de changer le cours de son destin mûrit dans son esprit.
    A seize ans, elle arrête ses études et part dans la région bordelaise  pour garder des enfants pendant les vacances. A la fin de l'été, elle sait que le moment est venu de quitter "la servante" et décide tout simplement de ne pas rentrer, de rester en province pour se construire une autre vie. Et c'est ainsi que Clarisse voit le jour !

    Clarisse/Malinka, une seule personne menant sans jamais faillir "à ce qu'elle avait décidé une fois pour toutes" deux vies parallèles qui jamais ne se croiseront.
    Clarisse qui vit et travaille à Bordeaux redevient Malinka, une fois par mois, quand elle rend visite à sa mère qui a quitté la région parisienne pour se rapprocher d'elle. De son mariage avec Richard Rivière, de leur installation à Langon, de la naissance de leur fille prénommée...Ladivine, Clarisse/Malinka ne lui en dira pas un mot. Elle continue sa double vie, soucieuse de ne jamais contredire son mari, devenant de plus en plus indéchiffrable. "Son oubli volontaire et permanent d'elle-même avait construit autour de sa personne une mince muraille de glace et sa fille comme son mari s'étonnaient parfois, sans le dire, sans le savoir peut-être, de ne pas l'atteindre au coeur de ses sentiments." Otage de son propre mensonge, elle se retrouve "empoisonnée" par "l'amour impérissable et déchirant, qu'elle portait à la mère de Malinka".
    Peu à peu, Clarisse s'enferme dans son silence décourageant Richard qui, après vingt cinq ans de mariage, la quitte pour tenter une autre vie à Annecy. Désormais seule, sa fille mariée est en Allemagne, Clarisse recueille Freddy Moliger, un homme inquiétant, perturbé par une enfance malheureuse et un séjour en prison. De façon inattendue, Clarisse le présente à sa mère et lui avoue s'appeler en réalité Malinka.

    Ladivine Rivière vit à Berlin avec son mari Marko et leurs deux enfants. Préoccupés de passer des vacances inhabituelles, ils partent, sur les conseils de Richard, en Afrique dans une région perdue et sauvage où rien ne se passe comme ils l'espéraient. Lieu inquiétant où les événements échappent à leur entendement et deviennent rapidement incontrôlables. Seule Ladivine semble profiter de ce séjour atypique, séduite par un pays qui la fascine et sous le charme d'une forêt qui l'attire inexorablement.

    Clarisse/Malinka reste le personnage central de ce roman, même quand elle disparaît de la scène. L'auteure se joue du temps, des lieux, des apparitions et des disparitions, des événements inexplicables, des silences et des trahisons. Elle nous parle de désirs, d'amours non-avoués, de mots et de sentiments manqués, de personnages qui se cachent derrière leur propre image.
    D'une écriture d'une rare densité, elle analyse, elle débusque sans relâche des êtres perdus, sortis de leur vie, contraints par des situations qui les dépassent. Elle les cerne de si près qu'ils nous deviennent familiers et "aimables". Une superbe écriture minutieusement élaborée, parfaitement maîtrisée qui laisse le lecteur abasourdi et admiratif le livre refermé.

    Editions Gallimard 2013 (403 pages)

    Marie Ndiaye est née le 4 juin 1967, enfant métisse d'une mère Beauceronne et d'un père Sénégalais. Elle commence à écrire dès l'âge de 12 ans. En 1984 elle dépose son premier manuscrit aux Editions de Minuit où Jérôme Lindon décide immédiatement de le publier. Son oeuvre abondante (romans, théâtre, nouvelles) fût couronnée par le Prix Fémina pour Rosie Carpe (2001) et le Prix Goncourt pour Trois femmes puissantes (2009)

    fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Ndiaye
    www.telerama.fr>le fil livres>tous les livres
    www.lexpress.fr/.../ladivine-de-marie-ndiaye-entre-realisme.

lundi 11 mars 2013

Profanes de Jeanne Benameur

"Aujourd'hui je me donne droit au doute.
Un profane aussi a le droit de douter. Le doute n'est pas réservé aux croyants." 

    C'est ce que pense Octave Lassalle, chirurgien à la retraite. Que peut-il encore espérer d'une vie brisée par la mort de sa fille qui s'est tuée dans un accident de voiture et qu'il n'a pu sauver, paralysé par l'impossibilité d'intervenir. Anne, sa femme, c'est dans "la religion, ses rituels et ses mystères ordonnés [qu']elle a cherché la paix." Une paix qui s'est refusée et l'a incitée à fuir au Canada "avec leur enfant lovée dans son ventre pour toujours".
    Maintenant âgé de quatre-vingt-dix ans et en prévision d'un état qui ne peut que se dégrader, il décide de recruter quatre personnes pour l'aider à vivre les dernières années qui lui restent. Il a avec chaque postulant un minutieux entretien. Et c'est ainsi qu'il engage un homme et trois femmes.
   Dans cette superbe maison entourée d'un jardin aux essences rares, ces "accompagnants" se succéderont jour et nuit afin de remplir une tâche bien spécifique. Le maître de maison leur a réservé le deuxième étage où chacun a pu se choisir une chambre pour en disposer selon son bon plaisir.
    La maison devient le décor où chaque personnage doit trouver sa place et tenir son rôle dans un huis-clos bien monté mais un peu cousu de fil blanc. Des personnages qui arrivent chargés, les uns d'un passé lourd à porter, les autres d'un avenir difficile à assumer. Tous les quatre, à l'image de celui qui les a choisis, des êtres dans le doute en quête de réponses aux questions existentielles, à un moment de leur vie où tout peut encore changer.

    Parce que Jeanne Benameur est une auteure avertie qui sait donner vie et consistance à ses personnages, ménager ses effets pour soutenir jusqu'au bout l'intérêt du lecteur, parce que c'est une "belle" histoire brillamment contée, j'ai lu avec plaisir ce roman. Mais le livre refermé, j'ai réalisé, que comme le "profane", j'étais restée à la porte du temple ! J'ai relu des passages et j'ai compris qu'il m'était difficile d'adhérer à ce récit dénué de réalisme et de vraisemblance et d'accepter les conditions improbables et totalement fabriquées du déroulement de l'intrigue. Les phrases brèves qui rythment l'écriture et portent le lecteur vers une irrépressible envie d'avancer privent le discours d'une fluidité qui retire aux émotions toute velléité de passer la barrière des mots.
    Oubliez mes réserves !
     Ce livre, par les questions essentielles qu'il pose, mérite que l'on s'y arrête.

    Actes Sud 2013 (274 pages)

    Jeanne Benamaur : est née en 1952 en Algérie d'un père arabe et d'une mère italienne. Elle arrive à La Rochelle à l'âge de 5ans. Elle fait des études de lettres à Poitiers et enseigne en milieu rural. En 2000, elle se consacre à l'écriture.
   Quelques livres :
  • 2000 Les Demeurées (Denoël- Folio)
  • 2008 Laver les ombres (Actes Sud)
  • 2011 Les Insurrections singulières (Actes Sud)
  • 2013 Profanes (Actes Sud)
r.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Benameur
l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/arti
blogs.lexpress.fr/.../profanes-de-jeanne-benameur-tout-simp 


samedi 16 février 2013

Ultime Amour de Serge Rezvani

               "Je suis amputé. Je ne refais pas ma vie, je la continue autrement." (3)

    La Béate (1), lovée au fond d'un vallon de la forêt des Maures, c'est  la maison que Lula et Serge Rezvani habitent depuis une quarantaine d'années, "devenue belle par la façon dont elle a été vécue", témoin du bonheur d'un couple qui vit là, dans un isolement qu'il a choisi, un amour exceptionnel et rare.

    Lula atteinte de la maladie d'Alzheimer sombre peu à peu dans l'absence, s'éloigne de Serge qui essaie, parce qu'il ne peut accepter son état, de la maintenir dans une réalité qui lui échappe. Eperdu de douleur, il constate qu'elle s'est réfugiée dans un monde où il n'a pas sa place. Il se contente alors de gérer une vie de plus en plus compliquée puisqu'il veut qu'elle finisse ses jours à la Béate. Pour l'accompagner à sa manière, il consigne les progrès de la maladie dans un émouvant récit qu'il a pudiquement intitulé l'Eclipse. (2)

    "... De toute façon, sans elle, je ne peux plus sentir. Lorsque je l'ai connue, j'étais jeune mais tout cassé. Elle a toujours été la plaque sensible de notre couple. C'est à travers elle que j'ai appris à ressentir la musique, la peinture, la littérature. Tout cela est fini. Notre passé est maintenant passé..." (3)

    Serge Rezvani mettra des années à retrouver le goût de vivre et l'envie d'écrire. Quand il rencontre Marie-Josée Nat, il sait, parce qu'ils se sont "reconnus", parce qu'elle l'accueille dans sa Corse natale, qu'avec "Marie-Merveille" ils peuvent recommencer une autre vie basée sur un "Ultime amour". (4)
    Le temps d'un possible apaisement venu, l'auteur peut reprendre l'histoire de cette Al! Zhei! Mer! et entrer cette fois, sans aucune retenue, dans le cru d'une effroyable réalité. Anéanti par le désespoir, démuni face à l'ampleur des problèmes matériels et financiers, il va être la proie facile de personnes dénuées de tout scrupule : la femme C. et sa fille la suceuse de pouce, Lucie et son homme Jojo La Ferraille, sans oublier les Parisiennes et autres voisines "désintéressées". Le dépouiller sera chose aisée puisqu'ils ont Lula en otage !

    "Elle (Luciefer) régissait tout ! Elle surveillait tout ! J'étais chez elle dans mon ancien chez moi ! [...] C'était une sorte de mort sociale, en quelque sorte symétrique à la mort vivante de ma femme. Je n'avais plus qu'à laisser faire Luciefer, et à me laisser faire. Nous étions annulés, nous les anciens amants de ces lieux." (p.109-110)
  
  Au cours de ma lecture, révoltée par l'audace de telles infamies, j'ai dû me réserver des pauses, et me persuader que, non, je ne lisais pas un thriller mais une histoire inscrite dans une dure réalité. Que le lecteur se rassure, si ce témoignage n'est pas un conte de fée, loin s'en faut, la vie a eu le dernier mot parce qu'elle est promesse, enfin, d'ultimes années de bonheur.

    1-Le roman d'une maison (Actes Sud) 2001
    2-L'Eclipse (Actes Sud)2003
    3- Extrait interview de Alexie Lorca (Lire juin 2004)
    4 Ultime Amour (Les Belles lettres) 2012

    Serge Rezvani est né le 28 mars 1928 à Téhéran. peintre, écrivain, auteur-compositeur-interprète de chansons.
    Orphelin de mère, il est balloté de foyer en foyer d'accueil, puis récupéré par un père volage  et mène avec lui une vie chaotique.. A 15 ans il débarque à Paris décidé à s'en sortir.
    1950, il rencontre Lula. 1960 ils se marient et quittent Paris pour La Garde-Frenet dans le midi (La Béate).1990 maladie de Lula. 2004, elle décède. 2005 il se remarie avec Marie-Josée Nat.
    Quelques livres :
  • 1967 Les années-lumière(Flammarion)
  • 1968 Les années Lula (Flammarion)
  • 1981 Le testament amoureux (Stock)
  • 2001 Le roman d'une maison (Actes Sud)
  • 2003 L'Eclipse (Actes Sud)
  • 2009Le Dresseur (Le Cherche Midi) 
  • 2012 Ultime amour ( Les Belles Lettres) 
fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Rezvani
www.lexpress.fr/.../serge-rezvani-ou-la-nostalgie-du-present



vendredi 1 février 2013

La nuit tombée d'Antoine Choplin

    C'est un petit livre de rien qui laisse le lecteur mélancolique, sensible à la tristesse d'un monde effacé et pourtant apaisé, dans la paix d'une promesse accomplie par un père à la vie dévastée.
    A "la nuit tombée", on suit Gouri de retour dans la zone interdite de Tchernobyl en quête d'un reste d'humanité pratiquement disparue. S'il retrouve quelques irréductibles amis décidés à rester, il réalisera qu'ils sont devenus des êtres en sursis, les fantômes de ceux qu'ils étaient par le passé.
    "...Car, de retour chez lui, il cherche une fois de plus à se convaincre des nécessités de l'exil ; flairer la réalité de ces puissances cruelles, imperceptibles et assassines, et préservant si étrangement l'apparence du monde."(p.96)
    A la fin de la nuit, il repartira, laissant derrière lui une ville interdite aux hommes et quelques rares habitants inexorablement condamnés.Il rentrera avec le précieux viatique qu'il était venu chercher, la preuve tangible que cette époque disparue a réellement existé.
    Plaisir de retrouver l'écriture sensible et délicate d'Antoine Choplin découverte dans Radeau (2003). Une écriture qui sait dire en peu de mots particulièrement choisis la pudeur, le silence et la tendresse.

    Editions La Fosse aux ours 2012 (122pages)

dimanche 13 janvier 2013

Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari

    Le titre peut paraître rébarbatif, mais le roman est passionnant doté d'une "écriture" que l'auteur module pour passer de la réflexion à une verdeur débridée selon les nécessités de l'intrigue.
    C'est l'histoire du petit bar d'un village corse menacé de faillite par une succession de repreneurs incompétents. Déçus par des études de philosophie à la Sorbonne et peu convaincus de leur utilité, Libéro et Matthieu, nés au village, décident de tenter leur chance et de le racheter.
    Forts des expériences désastreuses de leurs prédécesseurs, ils projettent d'élargir la clientèle des chasseurs locaux en attirant les touristes, les vacanciers, la jeunesse des alentours en leur proposant de la musique, des filles et des heures d'ouvertures très élastiques. Succès et rentabilité assurés malgré des débordements difficiles à contrôler !
    Ce "sermon" demande au lecteur attention et patience afin d'attendre que les événements se croisent et que les personnages révèlent leur totale identité. Jérôme Ferrari, écrivain confirmé, ménage ses effets en dosant ses informations et c'est dans les toutes dernières pages qu'il rejoindra Saint-Augustin auteur du Sermon sur la chute de Rome, semant dans nos esprits l'idée que, comme le petit bar du village corse, le déclin du monde occidental est peut-être commencé ?

    "Le monde est comme l'homme : il naît, il grandit et il meurt."
                                                   Sermon 81,§ 8, décembre 410.
Editions Actes Sud 2012 (Prix Goncourt 2012)
   

lundi 7 janvier 2013

Les lisières de Olivier Adam

     Comment construire sa vie quand on est un "être périphérique" ?

    Depuis six mois, chaque dimanche soir Paul Steiner reconduit Manon et Clément chez leur mère dont il est séparé. Moment difficile, il le sait, parce que les enfants vont lui manquer et qu'il est toujours amoureux de Sarah qui lui a demandé de quitter la maison, lasse de le porter, impuissante à le retenir de sombrer. Pourtant leur arrivée en Bretagne avait sembler donner sens à la vie de cet écrivain et scénariste de quarante ans, mais c'était sans compter avec "La Maladie" qui l'avait rattrapé.

    "... je m'en rendais compte à présent, depuis une douzaine d'années je n'avais fait que ça, fuir la douleur et la dépression, tenter de la semer en m'éloignant, tenter de la noyer dans l'eau de mer, tenter de l'ensevelir sous des tonnes d'amour et l'obligation de tenir et d'être debout que vous intimait le fait d'être père." (p.161)

    Appelé au chevet de sa mère hospitalisée, Paul revient dans cette banlieue parisienne où il est né, pour veiller sur son père, ancien ouvrier peu bavard, qui l'accueille sans grand enthousiasme. Il retrouve aussi son frère vétérinaire, marié à une avocate, avec qui il n'avait que d'épisodiques contacts.
    De retour dans le quartier où il a grandi, Paul va replonger dans ses souvenirs, renouer avec ses anciens copains de collège qui s'en sortent plus ou moins bien, revoir les filles qui habitaient ses rêves d'adolescent. Retrouver les femmes et les hommes qu'ils sont devenus et constater qu'il a eu de la chance et qu'il s'en est plutôt bien sorti.

    "Mon enfance, les territoires où elle a eu lieu, la famille où j'ai grandi m'ont défini une fois pour toutes et pourtant j'ai le sentiment de ne pas leur appartenir, de ne pas leur être attaché. Les gens, les lieux. Du coup c'est comme si je me retrouvais suspendu dans le vide, condamné aux limbes." (p.338)

    Et voici Paul assis entre deux mondes : celui de son enfance dont il s'est exclu et celui de son travail où il n'a pas su totalement s'intégrer. Ligoté par le remord d'avoir renié l'un au profit de l'autre, il navigue en "lisière", toujours en fuite à la recherche d'une identité et d'un lieu où habiter sa vie.

    "...Ecrire avait toujours été pour moi le seul moyen de me connecter au monde, de le sentir, d'en éprouver la texture, de m'assurer de son existence, et de la mienne au passage..." (p.22)

    Le salut de l'auteur serait donc dans l'écriture, occasion de se remettre en question, de reconsidérer sa vie. Une démarche qui n'est pas sans risques mais qui lui permet, aussi, de puiser matière pour nourrir ses romans : "je ne fais pas de l'autobiographie mais tout trouve racine dans ce que j'ai pu observer au cours de ma vie."*

    Sans se priver de fustiger la société toujours pressée de catégoriser tout un chacun en l'enfermant dans une classe sociale dont il ne pourra s'extraire que difficilement, Olivier Adam témoigne avec lucidité et pertinence des dérives sectaires de certaines de nos institutions. D'une écriture alerte et vivante, il captive le lecteur avide de connaître la fin de son histoire.

Editions Flammarion 2012 (454 pages)
*(Réponse donnée par l'auteur à François Busnel, interview publiée dans Lire, sept. 2012)

    Olivier Adam est né en 1974 à Draveil où il a grandi. Après avoir vécu à Paris, il s'installe dans les environs de Saint-Malo. Il publie : Je vais bien, ne t'en fais pas (Dilettante 2000), Passer l'hiver (Goncourt de la nouvelle 2004), Falaises, A l'abri de rien (Prix France/télévision 2007 et prix Jean-Amila-Meckert 2008), Des vents contraires (Prix RTL/Lire 2009) et Le coeur régulier chez l'Olivier (2011)
fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Adam_(écrivain
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