dimanche 27 juillet 2014

Tempête de J.M.G. Le Clézio

    Deux novellas composent la dernière parution de J.M.G. Le Clézio. Deux histoires liées par la constante préoccupation de l'auteur de mettre en scène des personnages abîmés par la vie.

    "Tempête", sur l'ile coréenne d'Udo, la vie va au rythme de la mer et du vent. Il y a 13 ans la mère de June était venue pour y cacher sa grossesse et accoucher. Elle n'était jamais repartie et comme les autres femmes elle n'avait pas eu d'autre choix pour survivre que de devenir pêcheuse d'ormeaux.
    Il y a 30 ans, Mr Kyo avait débarqué sur l'île avec Mary. Elle cherchait le silence et la solitude. Lui, ancien correspondant de guerre condamné pour ne pas être intervenu lors du viol d'une jeune vietnamienne par des GI's, espérait y trouver l'oubli et le repos. Un soir Mary avait disparu et Mr Kyo était reparti seul. Pour renouer avec un passé qui le hante, il décide de revenir sur l'île pour apprendre à ...pêcher.
    "Au début, j'ai pensé que je revenais sur cette île pour mourir, moi aussi. Retrouver la trace de Mary, entrer un soir dans la mer et disparaître."
    Mais il a rencontré June et entre cette fillette de13 ans qui n'a pas connu son père et le vieil homme qui cherche l'oubli, se noue une relation informelle dont le dénouement ne sera peut-être pas celui que le lecteur attendait.

    "Une femme sans identité", au Ghana, dans la famille d'un riche expatrié, Rachel apprend qu'elle n'est pas la fille de la femme de son père et que Bibi n'est que sa demi-soeur. De sa mère, elle ne saura rien si ce n'est qu'elle est africaine. Des revers de fortune obligent la famille à rentrer en France pour s'installer en banlieue. L'exil sera pour Rachel une lente descente aux enfers sans qu'elle ait pu sauver Bibi de sévices sexuels répétés.
    "J'étais du côté des errants : clodos, mendiants, enfants affamés, pickpockets, putes, vieillards solitaires... Et moi j'étais celle qui n'avait pas de nom, pas d'âge, pas de lieu de naissance, j'arrivais là sur ce terre-plein comme une pelure poussée par la vague." 
    Si Bibi finit par s'en sortir, Rachel continue de se noyer en songeant à l'Afrique où elle rêve de retourner, sa seule chance de retrouver ses racines


    Le format de la novella sied parfaitement à l'auteur : plus courte que le roman, elle gagne en concision, en intensité tout en laissant au lecteur le temps de s'immerger dans le récit.
    Dans Tempête, l'écriture ne semble qu'effleurer les personnages et les lieux. Sa légèreté va pourtant à l'essentiel et fait du lecteur un témoin attentif, ému et parfois attendri. Par sa fraîcheur et sa naïveté June adoucit le caractère douloureux de l'histoire sans le minimiser.
    Dans Une femme sans identité, le ton se durcit, devient abrupt à l'image d'un monde violent, rude aux déracinés comme Rachel à jamais privée de ses origines.
    Une ode à la vie de deux ados en mal d'identité, de reconnaissance et d'amour filial qui avancent vers la vie lestées d'un lourd bagage de traumas infligés par des adultes plus prédateurs que protecteurs !
    Une écriture qui se met au diapason de chaque personnage, montre sans juger et laisse ainsi au lecteur le sentiment d'un parfait accomplissement.

    Est-il nécessaire de rappeler que Mr J.M.G. Le Clézio a obtenu pour l'ensemble de son oeuvre Le Prix Nobel de Littérature en 2008 ?

   Editions Gallimard 2014 (230 pages- 19,50 €)
   







vendredi 4 juillet 2014

Une terre d'ombre de Ron Rash

    "Une terre d'ombre et rien d'autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu'il n'y avait pas d'endroit plus lugubre dans toute la chaîne des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n'achète ces terres."

     Ces terres, le père ne les avait pas payées cher mais elles avaient usé leur vie. A la mort de leurs parents, Laurel et Hank en ont héritées et vivent depuis au fond du vallon que le soleil peine à réchauffer et où jamais personne ne s'aventure.
    1917, Hank rentre de France où, comme beaucoup d'Américains, il était parti faire la Grande Guerre. Marqué à jamais il revient amputé d'une main pour affronter les problèmes que pose une telle blessure.
    Laurel était restée seule au fond du vallon et avait assumé le travail de la ferme. Elle est habituée à la solitude. Depuis son entrée à l'école elle se sait rejetée par les autres : affublée d'une tache de naissance sur le cou et le bras, les habitants du village l'évitent. "Coïncidences et ignorance" leur explique l'institutrice, mais rien ne peut les faire changer d'avis. Pour eux, elle est maudite et c'est sa seule présence qui a provoqué la mort de ses parents.
    Slidell, leur plus proche voisin, vient parfois donner un coup de main à Hank et de temps en temps ils profitent de sa charrette pour aller au village s'approvisionner. A Mars Hill, si son frère est bien accueilli, Laurel reste toujours la pestiférée qu'il faut éviter.
    Un matin, alors qu'elle lave le linge à la rivière elle est séduite par le chant d'un oiseau qu'elle entend pour la première fois. Intriguée, guidée par la mélodie elle finit par découvrir un joueur de flûte assis au pied d'un arbre. Un inconnu quelle écoute sans se montrer et sans en parler à son frère.
    Inquète de ne plus l'entendre, elle part à sa recherche et le découvre agonisant couvert de piqûres de frelons, le ramène à la ferme pour le soigner et trouve sur lui un papier disant qu'il s'appelle Walter Smith, qu'une maladie la rendu incapable de parler et qu'il désire se rendre à New York.
    Si Hank doit accepter l'arrivée du fugitif, Laurel pense qu'enfin cet événement va rompre la monotonie et "ensoleiller" sa vie.

 1957, il ne reste plus personne à expulser, personne pour regretter cet "endroit où il n'arrivait que des malheurs". La rivière glisse toujours entre les deux falaises, les arbres et les buissons accrochés aux pentes envahissent toujours les ruines de la ferme, le vallon attend d'être englouti sous les eaux d'un lac artificiel.

    Aucune importance si l'histoire est prévisible puisque l'auteur réussit à nous captiver jusqu'à la fin. Il donne vie à cette terre de misère qui englue les hommes accrochés aux superstitions héritées des générations précédentes, habités par l'intolérance, l'ignorance et la jalousie, déroutés par le retour des garçons que la guerre a brisés. C'est de l'éducation, Ron Rash en est convaincu, que la solution viendra. Mais que peut une modeste institutrice contre le déferlement des hommes devenus incontrôlables ?
    Indéniable force évocatrice d'une nature qui domine l'homme plus qu'elle ne l'accueille dans ce roman "noir" éclairé par les instants privilégiés où le lecteur se retrouve seul pour écouter chanter la flûte.

    Editions du Seuil 2012, 243 pages, 20€
   Traduit de l'anglais (Etats Unis) 2014 par Isabelle Reinharez