vendredi 31 mai 2013

Un notaire peu ordinaire d'Yves Ravey.

    Mr Montussaint n'est peut-être pas un notaire "ordinaire", mais dans sa commune, c'est un notable, il le sait et il le prouve. C'est lui qui a obtenu à Mme Rebernak, quand elle est devenue veuve, un poste d'agent de service au collège et c'est auprès de lui qu'elle cherche conseil et protection.
    Quand Freddy le cousin voyou, condamné pour le viol de la petite Sonia, sort de prison Mme Rebernak refuse de l'accueillir chez elle. Inquiète, elle redoute une telle promiscuité pour ses enfants : pour son fils étudiant mais surtout pour sa fille Clémence, future bachelière qui rêve d'émancipation.
    Pour réviser le bac, les lycéens se retrouvent au bord de la rivière pour travailler, se baigner et au Jolly Café pour discuter et profiter de la terrasse.Vigilante, dévorée d'inquiétude, Mme Rebernak, se déplaçant sur son cyclomoteur, exerce une surveillance attentive et tenace sur les faits et gestes de sa fille. Persuadée qu'il est une réelle menace, elle guette aussi les déplacements de Freddy ce "simple d'esprit" bien décidée à le garder à l'oeil en permanence.
    Dès les premières lignes l'atmosphère est pesante, le climat tendu et la tension s'intensifie au fil des pages. L'écriture cache, derrière une apparente simplicité, la construction savamment maîtrisée d'une intrigue appuyée sur la réalité sociale d'une petite ville provinciale, sur la justesse et la finesse de l'étude des personnages. L'auteur signe là un superbe portrait de mère déterminée à ne se fier qu'à son instinct sans jamais le remettre en question.

    Editions de Minuit 2013 (108 pages)

jeudi 16 mai 2013

Fleur de béton de Wilfried N'Sondé

    Rêver des plages de ses vacances, pleurer son frère retrouvé mort sur un parking, soupirer pour le séduisant Jason qui l'ignore et craindre les raclées d'un père malade du chômage, tristes perspectives d'avenir pour Rosa Maria dans la Cité des 6.000 où la situation se dégrade un peu plus chaque jour.
    Quand la police leur interdit d'utiliser une cave qu'ils avaient aménagée pour se réunir et danser le vendredi soir, les jeunes vont se révolter et déclencher une véritable émeute. La violence de leur déchaînement laisse la Cité sans voix. Les sanctions vont tomber, plomber le cours de bien des vies et laisser des traces indélébiles dans la mémoire de la Cité.
     Wilfried N'Sondé sait de quoi il parle, arrivé à quatre ans du Congo, il a vécu une vingtaine d'années dans ce melting pot porteur, à ses débuts, de promesses qu'il n'a pas tenues. Des phrases courtes, rythmées, parfois empreintes d'oralité portent la dynamique de ce roman et nous permet une plus juste approche de problèmes qui, s'ils nous sont parfois étrangers, sont à l'origine de conséquences insoupçonnées.

      Editions Actes Sud 2012 (212 pages)

dimanche 5 mai 2013

Pornographia de Jean-Baptiste Del Amo

     Pornographe est un emprunt (1769) au grec tardif pornographos "auteur d'écrits sur la prostitution". 1

    Jean-Baptiste Del Amo nous avait étonnés en publiant, en 2008, Une éducation libertine, un premier roman foisonnant, parfaitement maitrisé, couronné à juste titre par l'Académie Goncourt : en 1790, Gaspard fuit la Bretagne pour le Paris de la Cité prêt à toutes les compromissions pour grimper les échelons de la société.
    En 2011, paraît Le Sel : une mère réunit ses trois enfants au cours d'un dîner où chacun règle ses comptes en l'absence du père décédé mais omniprésent.

    Après un voyage à Cuba pour un reportage sur La Havane dont il rentre frustré et mécontent, il décide d'y repartir en compagnie du photographe Antoine D'Agata, dans le but de faire un livre illustré. Pour des raisons financières le projet ne sera pas finalisé, mais l'auteur garde l'idée d'un roman dont la ville sera le sujet. Ville charnelle, sublime et décatie, croulante et décadente, véritable caisse de résonance pour les corps livrés à une sexualité débridée où la misère fait de la prostitution un mal inévitable parce que seul moyen de survie pour beaucoup.

    "... Je hâte le pas en direction du front de mer, pensant que le vent me revigorera. Bien sûr, je me leurre, puisqu'il faudrait, pour retrouver la souveraineté de mon corps, quitter la ville et non m'y perdre, mais aveuglé par mon orgueil je crois l'asservir et m'obstine à arpenter ses rues engluées de crasse. Mes pas butent contre la caillasse. Sans que je sois en état de comprendre la raison profonde, la superbe de cette ville croulante me fait écho et participe à mon vertige, elle tisonne en moi une volupté inattendue et je ne marche plus désormais à la recherche d'un souffle ou d'une échappatoire, mais dans le seul but d'une jouissance physique par laquelle je me délesterais d'un poids ou de ma conscience de la ville. Je sais possible de rencontrer sur le front de mer des gitons qui, pour quelques dollars, m'aideront à sublimer le tableau sordide de mon retour au pays." (p.14-15)

    Retour au pays ! Il revient pour enterrer sa mère et, sans attendre, subit l'emprise de cette ville où la sensualité cubaine n'est pas un vain mot. Vie nocturne débridée où la mort rôde à chaque coin de rue, où la quête de plaisirs frelatés peut se révéler dangereuse. Taraudé par le désir de retrouver l'amant d'un soir, il déambule dans un état second, s'éloigne de la vraie vie, se noie toujours plus avant dans la crasse et la fange des bas-quartiers s'abîmant dans un non-être avéré sans possbilité de retour.
    Que cherche-t-il dans cette descente consentie, une identité perdue, une réponse aux questions existentielles ou, tout simplement, le désir inavoué d'un anéantissement total ?

    "Rien ne m'est familier, ni les maisons assoupies, ni l'agencement des rues. Je titube, je porte une main à mon crâne, je tâte la masse hirsute de mes cheveux. Elle ne me dit rien. Je palpe mes bras et mon ventre, énigmatiques eux aussi. Ce corps en mouvement, à l'intérieur duquel je pense, je le fais donc bouger, et je l'ai mené jusque-là, mais il pourrait appartenir à un autre où n'être qu'un tas de viande. Je tremble et la bave macule mon menton. Je porte mes mains à mon visage pour retrouver dans mon haleine, entre mes doigts, l'odeur du giton, le relent de son sexe et de son cul sous mes ongles noircis de sueur et de crasse.. (p.26-27)

    Ecrit à la première personne, l'auteur qualifie ce roman de pure invention incapable de mener à son terme une autofiction. "Je" devient alors projection et mise en jeu du moi liées à son propre regard. C'est dans ce livre qu'il s'est totalement affranchi, libéré évoquant et assumant clairement son homosexualité.2

    Ce roman incandescent, sulfureux s'inscrit dans un univers éminemment sensitif où tous les sens sont sollicités, où la sexualité est envahissante, où les corps omniprésents deviennent parfois fantasmagoriques. Ecrites sans retenue, quelques scènes peuvent s'avérer difficilement supportables et provoquer chez certains lecteurs un sentiment de rejet et de dégoût.

    "...Vivre n'a jamais été pour lui que synonyme de vivoter. Il arrive que Diego pressente sa misère plus qu'il ne la conçoit réellement, devant un téléviseur diffusant une télénovela par exemple, mais son esprit se heurte aussitôt à la normalité de ce qu'il a toujours connu, la violence et le dénuement familiers, donc préférables, l'impossibilité d'imaginer une vie autre, son incapacité à se faire figurer dans une autre peau, un autre pays, un autre destin. Sa déchéance lui est confortable et, n'ayant connu qu'elle, il ne sait désirer autre chose avec conviction. Diego est l'un de ces gosses dont l'intelligence n'est ni plus ni moins que celle nécessaire à leur survivance, un subtil mélange de sournoiserie, de brutalité et de minauderie." (p.55)

    Il n'en reste pas moins que l'auteur réussit un roman fascinant, ode à la ville, au peuple d'en-bas et de la prostitution. Parce que la trame narrative n'est pas linéaire, le lecteur garde en tête une succession d'images réalistes et fortes non dénuées d'une certaine beauté, certes, dérangeante.

    1-Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey)
    2-Le Carnet d'or, de A. Trapenard, entretien avec J.B. Del Amo (France culture 30/04/2013)

    Editions Gallimard 2013 (142pages)

    Jean-Baptiste Del Amo est né à Toulouse le 25/11/1981:
  • 2006 Ne rien faire et autres nouvelles (Buchet-Chastel) Prix du jeune écrivain de langue française.
  • 2008 Une éducation libertine (Gallimard) Prix Goncourt du 1er roman 2009
  • 2010 Le Sel (Gallimard)
  • 2010 Hervé Guibert photographe (Gallimard)
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