mercredi 22 avril 2015

Berlinoise de Wilfried N'Sondé


    Un auteur justement remarqué en 2007 avec "Le coeur des enfants léopards", l'histoire d'un garçon abandonné par son premier amour qui sombre dans l'alcool et commet l'irréparable. En garde à vue, dans sa cellule, il dialogue avec ses ancêtres africains, évoque leur héritage et ce qu'il en reste pour lui qui vit désormais en région parisienne.
    En 2012, dans "Fleur de béton" Rosa Maria rêve de vacances, pleure son frère retrouvé mort sur un parking, craint les raclées de son père malade du chômage et ne peut que subir le climat de la Cité qui se dégrade et l'inéluctable montée de la tension.
    2015, "Berlinoise", le monde n'a d'yeux que pour Berlin et son mur qui tombe dans l'allégresse générale. C'est le lieu où il faut être pour vivre l'événement en direct. Stan et Pascal, arrivés le 30 décembre 1989, sont emportés par la folie délirante de la ville. C'est là que Stan remarque Maya une fille "à la peau brune et aux yeux vairons", ils ne se quitterons plus. Les garçons décident de rester à Berlin, de fonder un groupe avec Clémentine percussionniste accomplie quand Maya continue de s'adonner à la peinture.
    A l'enthousiasme de vivre des instants exceptionnels s'ajoutait l'illusion de faire table rase du passé, de participer à la construction d'un monde nouveau dans un esprit de tolérance et de liberté. Maya qui venait de Thuringe en RDA pensait "réinventer sa vie" et être promise au plus beau des avenirs.
   Portés par l'ambiance qui exacerbe les possibles, Maya et Stan vont vivre une aventure amoureuse hors du commun : "Notre amour était un sentiment, mais aussi une ineffable et quasi spirituelle communion de nos corps dont nous savions jouir de manière très naturelle, presque inconsciemment." Mais peu à peu l'euphorie va retomber et faire place à une réalité qui ne tenait pas ses promesses, "...car Berlin déraisonnait et allait dans tous les sens, la ville se cherchait et perdait parfois la tête." Les illusions s'estompent et Maya, l'idéaliste, préfèrera la fuite au naufrage de ses rêves.

    Récit où poésie et sensualité priment et chantent Maya et Berlin, la femme et la ville, toutes deux symboles de l'utopie d'un peuple, de l'accession de sa jeunesse à la politique suivies d'une profonde désillusion. Un art consommé du portrait rend les personnages omniprésents et familiers accompagnés parfois d'une musique que l'auteur connaît si bien. Ce roman est aussi une superbe aventure amoureuse contée, sans retenue, dans un style imagé au plus près des sensations.

Réponse de W.N. à l'interrogation sur son attachement à ses racines congolaises.
     "Je ne suis pas un arbre. Mes racines sont là où je suis. Né au Congo en 1989, j'ai vécu en France ma jeunesse et aujourd'hui je vis à Berlin. L'origine d'un être humain n'est pas un lieu. Je viens du ventre de ma mère. On n'a pas de racines, on n'est pas des plantes. L'histoire de l'homo sapiens est une histoire d'errance. J'ai reçu un héritage et un héritage, on peut l'accepter ou le refuser."
Saint-Malo 2012 Festival Etonnants Voyageurs

    Editions Actes Sud 2015 (172 pages-18€)