mercredi 17 juillet 2013

Impurs de David Vann

    Les deux premiers romans de David Vann, Sukkwan Island et Désolations se déroulent dans le grand froid de l'Alaska, Impurs dans la fournaise de l'été californien. Le suicide de son père est à l'origine du premier, la maltraitance de sa grand-mère par son grand-père du troisième. Dans chaque histoire, une cabane isolée, qu'elle soit lieu de reconstruction, de discorde ou de réminiscence.

    Tout avait donc commencé quand "le grand-père avait créé cette famille à son image. Forgée dans la violence et dans la honte, prise dans un élan impossible à stopper." p.248
    Une maison perdue au milieu d'un immense verger de noyers écrasé de chaleur. Le grand-père est mort, la grand-mère vit dans une maison de retraite, seule Suzie-Q avec son fils Galen y réside en permanence. Hélen sa soeur vient avec sa fille Jennifer y faire de courts séjours. Les deux  soeurs se détestent cordialement.

    Suzie-Q est une mère possessive. " Elle avait fait de lui une sorte d'époux, lui, son fils. Elle avait chassé sa propre mère, sa soeur et sa nièce, et il ne restait plus qu'eux deux, et chaque jour, il avait le sentiment qu'il ne pourrait supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait." p.12 

  Galen, puceau de 22 ans oscille entre masturbation et méditation, rêve vaguement de bouddhisme et de révolte. Incurable velléitaire il cache sous une apparente docilité un désamour pour sa mère. Secrètement amoureux de sa cousine, perturbé par ses avances non déguisées d'allumeuse à la perversité affirmée, sa vie devient un enfer quand elle est là.

    Toute la famille décide de partir passer quelques jours dans "la cabane : c'est là qu'il pouvait réfléchir. Il s'était étendu à cet endroit des heures durant chaque été, toute sa vie, à rêver de ce qui pourrait advenir ? C'est là que tout pouvait être pensé et c'est là qu'il pouvait découvrir qui il était. Seulement à cet endroit précis." p.69
    La promiscuité va exacerber les rapports névrotiques, intensifier les ressentiments devenus incontrôlables. Le ton monte et les vacances se terminent sur un départ précipité qui ressemble à une rupture.

    Nous n'en sommes qu'à la moitié du roman !
     Quand la mère et le fils se retrouvent face à face, pour une fois, Galen ne fuit pas l'affrontement. Au fil des heures, la tension va crescendo et le huis clos devient le théâtre où se joue une tragédie. Galen en quête d'une transcendance hors de sa portée, perd peu à peu le sens des réalités. De déambulations en divagations, il retourne à la terre nourricière pour s'y fondre parce que c'est d'elle seule, lui semble-t-il, que pourrait venir sa rédemption.

    Comme toujours, l'auteur est aussi à l'aise et convaincant quand il décrit la beauté d'un paysage que lorsqu'il analyse la noirceur des sentiments. Le lecteur entend les cris, les souffrances, observe la montée des désordres, constate la progression des déviances et pressent, que sous une tranquillité de façade, la violence ne demande qu'à éclater.
     Une écriture évocatrice en diable pour un conte de la folie ordinaire !

    Editions Gallmeister 2012, traduit de l'anglais en 2013 par Laura Derajinski.(288 pages)

    David Vann est né en 1966 en Alaska. Ecrivain américain
        Sukkwan Island 2010, Prix médicis étranger
        Désolations 2011
 fr.wikipedia.org/wiki/David_Vann
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mardi 9 juillet 2013

Un repas en hiver de Hubert Mingarelli

Quelques lignes et vous voilà embarqué dans une aventure qui ne vous laissera pas indifférent.

    Emmerich, Bauer et le narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, sont incorporés dans la compagnie du lieutenant Graaf. Leurs prénoms nous laissent à penser qu'ils sont allemands et peut-être cantonnés en Pologne dans un collège puisque sont mentionnés un dortoir et une cour. La fenêtre couverte de givre nous apprend qu'il fait très froid.
    "Le fer avait tinté dehors" convoquant les soldats dans la cour. "Graaf, notre lieutenant, nous dit qu'il en arrivait aujourd'hui, mais tard probablement, en sorte que le travail était prévu pour le lendemain et qu'il revenait cette fois à notre compagnie."
    Un travail si perturbant que les trois compagnons d'arme se risquent à plaider leur cause auprès du commandant, lui suggérant qu'ils seraient plus utiles sur une autre mission dans la campagne environnante.
    Ils sont donc partis au petit matin dans "un froid de chien" le ventre vide, pour ne pas prendre le risque de croiser le lieutenant. Parfois, ils font une pause pour fumer : "Autour de nous il n'y avait que des champs immenses. Le vent avait fait onduler la neige, il avait construit des vagues longues et régulières que le froid avait figées depuis longtemps. Nous regardions autour de nous comme si nous étions au milieu d'une mer toute blanche."
    Les heures défilent, la faim commence à les tarauder et ils vont devoir s'inquiéter d'une solution pour cuire leurs maigres provisions et surtout, ne pas oublier de se mettre en chasse pour remplir leur mission et ne pas rentrer bredouilles au cantonnement.
    "On marchait sans y croire depuis l'aube, et voilà que les yeux perçants d'Emmerich venaient de nous l'amener." Le contrat rempli, restait à trouver un lieu. "La maison apparut derrière une rangée d'arbres. Nous n'avons pas eu besoin d'en parler. La décision était écrite dans nos ventres et le ciel glacé."
    La maison, une ruine, improbable huis-clos où vont se trouver réunis les trois soldats et leur jeune prisonnier juif. Viendra les rejoindre un Polonais antisémite véritable concentré de l'époque. Huis-clos où les personnalités vont se révéler, s'affronter et accepter de ...partager.
    L'auteur n'évoque jamais le physique de ses personnages, il veut des types ordinaires perdus au milieu de nulle part, dans un univers imprécis et vague, confrontés à une situation inhabituelle. S'il constate sans jamais les juger, il finit par éprouver pour les trois soldats devenus bourreaux malgré eux, compréhension et respect.
    Le repas, c'est l'apogée du roman, l'instant de trêve dans cette tragédie où les ventres commandent aux hommes de déposer les armes pour un court instant et de partager la maigre pitance. La preuve qui nous autorise à croire qu'il reste encore chez l'homme une petite part d'humanité.
      De son écriture subtile et patiente, l'auteur le démontre indubitablement !

    Editions Stock 2012 (137 pages)

    Hubert Mingarelli : né le 14/01/1956 à Mont-Saint-Martin en Lorraine. A 17 ans arrête l'école et s'engage pour 3 ans dans la marine? Revient à Grenoble. Vit actuellement dans Les Alpes.
  • Une rivière verte eet silencieuse, Seuil 1999
  • La dernière neige, Seuil 2001
  • La beauté des loutres, Seuil 2002
  • Quatre soldats, Seuil 2003 Prix Médicis
  • Homme sans mère, Seuil 2004
  • le voyage d'Eladio, Seuil 2005
  • Océan Pacifique, Seuil 2006 Prix Livre et Mer Henri-Quéffelec
  • Marcher sur la rivière, Seuil 2007
  • La promesse, Seuil 2009
  • L'année du soulèvement, Seuil2010
  • La lettre de Buenos Aires, Buchet-Chastel 2001 grand prix SGDL de nouvelle
  • La vague, Editions du Chemin de fer 2011
  • la source, nouvelle, Cadex 2012
Et de nombreux ouvrages pour la jeunesse

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