lundi 19 décembre 2011

L'accordeur de silences de Mia Couto

                       

   Du fin fond de l'Afrique nous arrive ce conte écrit à hauteur d'enfant : une histoire où se mêlent surnaturel et réalité. Réalité plombée par la paranoïa d'un père qui, après avoir perdu sa femme, se retranche avec ses deux fils et un soldat-mercenaire dans une ancienne réserve fermée et désertée en partie par les animaux afin de se couper de tout contact avec la civilisation.
   L'arrivée d'une femme " blanche", à la recherche de son amour perdu, va rompre l'équilibre de ce monde masculin, intensifier le questionnement des enfants, et leur donner l'élan nécessaire pour briser les barreaux de leur prison.
   Les enfants sont pleins de ressources et Mwanito va "réinventer" l'écriture en tenant un journal sur... de minuscules cartes à jouer. Peu à peu, il décrypte la souffrance enfouie dans le passé de chacun des personnages et nous permet, ainsi, d'entendre "la musique de leurs silences".
   "Je suis né pour me taire. Le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J'écris bien silences au pluriel. Oui, car il n'est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l'état de gestation."
   Parce qu'il se tait, Mwanito écoute et devine les vérités que les adultes s'évertuent à cacher. Il est l'enfant qui nous attendrit, nous fait sourire parfois et nous étonne toujours par son optimisme et son désir inébranlable d'avancer.

Mia Couto, d'origine portugaise, est né au Mozambique en 1955. Il vit à Maputo où il est biologiste.

Editions Métailié 2011-Jésusalem 2009 traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues.

                                                                                                      


MERCREDI 21 DECEMBRE 2011

     Opium Poppy d'Hubert Haddad
   

            La guerre n'épargne pas les hommes, encore moins les enfants !

   Alam, c'est le prénom de hasard attribué par le service d'immigration à cet enfant arrêté sur le quai de la gare. Petit paysan afghan de la région de Kandahar, région qu'il a désignée du doigt sur la carte, coincé entre la guerre et le trafic de l'opium, animé d'une furieuse envie d'apprendre et de s'en sortir, sera une proie facile pour les talibans prêts à en faire un kamikaze ou un trafiquant de drogue.
   Habité par le souvenir de son frère, tête brûlée enrôlé par les talibans, perdu puis retrouvé, par Malalaï l'adolescente si jolie mais trop libre et trop savante (vitriolée elle se suicidera à l'hôpital), il ne pense qu'à fuir loin de son pays.
   C'est ainsi qu'on le retrouve dans un centre de rétention de la région parisienne, en classe d'alphabétisation avec d'autres exilés, puis dans différents squats en but à la ségrégation, au rejet et à l'isolement, menant une lutte sans merci pour survivre.
   Lui qui rêvait d'émancipation, de se construire une vie, écrasé par des circonstances qui le dépassent et des conditions qu'il ne peut contrôler, se retrouve embrigadé par un gang dans l'incapacité de gérer le tragique de sa situation.
   L'auteur nous projette d'un monde à l'autre, celui de la guerre en Afghanistan, celui des exclus et des marginaux en France. Deux mondes où l'enfant ne peut trouver sa place, se cogne à la violence, se cabosse et n'a plus le choix de son destin.
   Quel est ce monde où les hommes font d'un enfant un combattant en lui mettant simplement une arme dans les mains, alors qu'il est encore à l'âge de jouer aux gendarmes et aux voleurs avec ses copains ?
   Non, ce n'est pas que de la littérature ! Nous savons tous que cela existe et c'est pourquoi, quand j'y pense, j'ai furieusement honte !

   Editions Zulma 2011

   Hubert Haddad est né à Tunis en 1947, poète, romancier, dramaturge il écrit en français.
   Palestine, son précédent roman obtient le Prix des 5 continents de la Francophonie en 2008 et
le Renaudot poche en 2009

ww.zulma.fr/livre-opium-poppy-572013.htlm

                                                                                                           


JEUDI 29 DECEMBRE

                        Clèves de Marie Darrieussecq

 Une éducation sexuelle branchée et dans le vent.

   Les années 80 à Clèves sur la côte basque, Solange 13/14 ans n'a qu'une seule préoccupation en tête "les avoir" (ses règles) et puis après "faire la chose" (l'amour). Ensuite, grandir vite, très vite, pour attirer et assumer le regard des garçons qui commencent déjà à la regarder comme une proie potentielle. En un mot faire ses preuves !
   Pas facile, parce qu'il y a les copines, leurs discussions branchées, les mots qu'elle écoute, qui l'inquiètent et lui font un peu peur. Et surtout , elle ne doit pas faillir, se conformer au modèle en vigueur, jouer les affranchies, se couler dans le moule, sauter le pas pour vivre enfin !
   "Etre à beaucoup plus tard, souhaite pourtant Solange. Dans un mois, dans un an, dans deux ans, dans trois ans. Avoir seize ans. Avoir dix-huit ans. Attente insupportable. Etre adulte. Ce qui s'appelle une femme. Savoir de quoi la vie est faite, à quoi ma vie ressemblera, qui je serai. Pouvoir aller, venir, téléphoner, parler, m'en aller. Baiser. Baiser. Prendre la Terre entière et baiser."
   Mais ce n'est pas si simple quand on est une ado larguée par des parents dépassés : un père toujours absent, une mère qui n'a pas le temps. Et Solange ne s'est jamais sentie aussi seule et démunie par sa propre inexpérience.
   Marie Darrieussecq n'a pas l'habitude de ménager ses personnages et ses lecteurs. Si son écriture rapide, haletante sert au plus près son propos dépourvu de tout romantisme, elle choisit d'écrire sans retenue et sans tabou. Mais à trop se vautrer dans un vocabulaire qui frise la trivialité, l'auteur risque de lasser et de rendre la lecture des dernières pages particulièrement pesante. Dommage !

        Editions P.O.L. 2011 (345 pages)

Marie Darrieussecq est née à Bayonne le 3/01/1969. Elle est écrivaine et psychanalyste.
       Elle fut révélée par Truismes (P.O.L.) en 1996

fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Darrieussecq

www.lexpress.fr/.../marie-darrieussecq

                                                                                                    


VENDREDI 6 JANVIER 2012

                              Les découvertes d'Eric Laurrent

     Un éveil à la sexualité en toute discrétion.

     Clèves de Marie Darrieussecq, Les découvertes d'Eric Laurrent, deux livres que j'ai lus successivement et parce qu'ils traitent d'un même sujet, la découverte de la sexualité par deux adolescents, il m'a semblé intéressant de les juxtaposer. Si le thème est identique, les auteurs nous proposent des oeuvres totalement différentes. Clèves, l'histoire de Solange, extravertie, pas aussi délurée qu'elle le paraît, noie son obsession dans une oralité débordante.
   Dans Les découvertes, récit mi-romanesque, mi-autobiographique, l'auteur se met en scène alors qu'il a 2/3 ans et nous l'accompagnerons jusqu'à 20 ans. Le temps passant l'éveil à la sensualité deviendra éveil à la sexualité. Ici pas de logorrhée verbale, nous sommes dans le domaine de la pensée, du non-dit, du rêve. Pour l'enfant, épris de beauté sans le savoir, le corps féminin devient fascinant, mystérieux, énigmatique sujet de fantasmes, d'attirance, mais aussi d'interdit parce que teinté d'un soupçon de péché. Pour nourrir sa curiosité, il scrute les apparitions de Sylvie Vartan avec ses jupes fendues, de Michèle Mercier, marquise des anges, et rêve devant les affiches du cinéma !
   Mais tout ceci ne serait rien sans le talent d'Eric Laurrent. De "son écriture précieuse et contournée", c'est lui qui la qualifie ainsi, il nous chante un hymne à la beauté du corps féminin. Ses descriptions concises s'étirent en longues périodes faites de métaphores, d'archaïsmes, même si d'aucuns les trouvent surannées, personnellement elles me comblent. Avec lui, nous sommes toujours dans l'esthétisme et je connais peu d'auteurs capables de nous soumettre des évocations de la beauté, que ce soit celle d'une femme ou celle d'un tableau, qui soient, à la fois, aussi minutieuses, précises et réjouissantes. Lisez Renaissance italienne et vous serez convaincu et conquis.

                              Editions de Minuit (176 pages)

    Eric Laurrent est né en 1966 à Clermont-Ferrand, il vit àParis.
Ses trois derniers romans :
         Clara Stern (Minuit) 2005
         Renaissance italienne (Minuit) 2008
         Les découvertes (Minuit) 2011 Prix Wepler 2011

 interlignes.curiosphere.tv/?auteur=eric-laurrent-2
  
   


  













  
  

dimanche 27 novembre 2011

La femme du tigre de Téa Obreht

A tous ceux qui croient encore aux histoires incroyables.

La rentrée littéraire peut être aussi cela pour le lecteur curieux et fouineur : la découverte d'un premier roman, pépite noyée dans le flot pléthorique des parutions. Publication qui valut à son auteure âgée de vingt-six ans d'être, en 2011, la plus jeune lauréate de l'Orange Prize.

Pour apprécier totalement ce livre, il est bon de préciser que Téa Obreht est née en 1985 à Belgrade, dans une Serbie malmenée par la guerre. Après avoir vécu à Chypre puis en Egypte, elle émigre aux Etats Unis à l'âge de douze ans où elle réside actuellement.

Elle nous entraîne à la suite de Natalia, jeune médecin, de retour dans les Balkans, pour une campagne de vaccination dans un orphelinat. Immergée dans le pays de ses origines, elle ne peut que constater les cicatrices laissées par la guerre, les difficultés et la lenteur de la reconstruction. Happée par les souvenirs, elle revit les instants, lorsqu'elle n'avait que quatre ans, partagés avec son grand-père médecin lui aussi. Il l'emmenait régulièrement au zoo, où ils rendaient visite au tigre qui le fascinait. A chaque sortie, ils faisaient des pauses qu'il mettait à profit pour lui lire des passages du Livre de la Jungle dans cette vieille édition qui ne quittait jamais sa poche.

Mais surtout, il lui racontait des histoires pleines de mystère, celle du "boucher-musicien", du "chasseur d'ours" Darsa, de "la femme du tigre", de "l'homme-qui-ne-mourra-pas" et celle de la complicité incroyable de "la sourde-muette" et de l'enfant de neuf ans.

 En Europe centrale Natalia se trouve confrontée à un folklore encore très vivace  qui véhicule des croyances et des supertitions ancestrales profondément ancrées qui s'opposent aux progrès de la science et les refusent.

En jouant de ce télescopage entre deux mondes, en juxtaposant un passé difficile à oublier et un présent qui a du mal à se reconstruire, l'auteure nous sert un livre qui, même si parfois il manque un peu de clarté, (c'est un premier roman je le rappelle) se consomme avec gourmandise. Ne boudons pas notre plaisir, écoutons ses histoires à dormir debout !

[...]Le tigre de mon grand-père vit là, dans une clairière où l'hiver ne se termine jamais. [...]Tout est mort dans sa mémoire, hormis la femme du tigre, alors il se lance à sa recherche, certains soirs, en poussant un cri, une note tendue dont l'intensité décroît à n'en plus finir. Une note solitaire, grave, que plus personne n'entend. (page 330)

Editions Calmann-Lévy 2011 (331 pages)
The tiger's wife  traduit de l'anglais (américain) par Marie Boudewyn

www.lemonde.fr>livres

www.lexpress.fr/...:tea-obreht

vendredi 11 novembre 2011

Désolations de David Vann

Tragédie glaçante en Alaska, hostile et dur à l'homme en quête de réussite.

En 2010, David Vann marque la rentrée littéraire en obtenant le prix Médicis étranger pour Sukkwan Island. Une consécration méritée pour son premier roman traduit en français : écriture aboutie, intrigue bien menée, atmosphère angoissante qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page.

Un an après, le voici de retour avec un nouveau roman : Désolations. Même décor, l'Alaska, seule l'île a changé. Tout se joue ici sur Caribou Island au milieu de ce lac véritable mer intérieure soumise aux eaux démontées, aux vents violents des tempêtes qui rendent la navigation impossible.

Cette fois, pas de huis clos entre un père et son fils adolescent. L'auteur mêle l'histoire de quatre couples et nous conte, en particulier, le face à face de Gary et d'Irène, véritable confrontation après trente années de vie commune et de questions non résolues.

Gary, malgré les réticences d'Irène, a décidé de construire une cabane en rondins sur cette île afin qu'ils y passent l'hiver : rêve d'un éternel insatisfait, toujours en quête d'expériences plus ou mons bien préparées et pas forcément réalisables. Irène le suit, sans enthousiasme, espérant sauver leur couple à la dérive. Sous le regard inquiet et critique de Mark et Rhoda, les enfants qu'ils ont élevés au bord du lac, l'arrivée précoce de l'hiver et les migraines douloureuses d'Irène vont pertuber et compliquer leur projet.

D'une écriture souple et précise, l'auteur nous promène de descriptions d'une nature impitoyable quand elle se déchaîne, belle et poétique quand elle se calme, aux évocations bouleversantes des doutes et des ressentis des personnages. Dans ce deuxième roman, pas de drame à la page 113, pas de déflagration, mais une insidieuse montée dans l'absurde d'un non-retour et le constat que la vie de couple est bien souvent enfermement et solitude.

Par un long crescendo délirant et insoutenable, le roman s'achève en apothéose, scène finale digne d'un opéra vériste où la nature reprend ses droits et refuse à l'homme la consolation et la rédemption qu'il attendait d'elle.

Editions Gallmeister 2011 (304 pages)
Caribou Island, traduit de l'américain par Laura Derajinski

David Vann : est né en 1966 sur l'île Adak en Alaska
             il vit en Californie où il enseigne à l'université de San Francisco.
             Sukkwan Island est son premier roman traduit en français.

www.gallmeister.fr/livre?livre id=517

www.lexpress.fr/culture/.../desolations-de-david-vann 1017282.htlm

mardi 25 octobre 2011

Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard

" Je pense que ma soeur était un chemin perdu au-dessus de la mer." Paul (page 234)

J'attendais le livre de la rentrée, celui qui me clouerait à ses pages, m'apporterait enfin l'émotion que j'attends d'une nouvelle lecture. L'émotion qui emplit le liseur de bonheur par la perfection de son écriture, qui comble son attente par des personnages qui continuent de l'habiter le livre refermé.

Les solidarités mystérieuses, c'est tout cela ! Mais c'est aussi ce petit coin de Bretagne dans le département qu'on disait autrefois Les Côtes du Nord et qu'on appelle maintenant Les Côtes d'Armor pour ne pas effrayer le touriste.

C'est donc à quelques encablures de Dinard et de Saint-Malo que Claire fait retour au pays de son enfance, oubliant sa vie parisienne de traductrice. Peu à peu, elle se rapproprie les lieux, le petit port de pêche coincé entre les vagues et la falaise, les rochers de granite battus par le vent, la lande giflée par des pluies violentes, la mer et la fascinante beauté de ses colères qui font que ses eaux deviennent noires.

Bien sûr, elle retrouve ses amies d'enfance et leur complicité intacte, son professeur de piano qui lui lèguera une vieille ferme noyée dans les arbres au milieu de la lande marécageuse. Surtout elle retrouve Simon, le seul, l'unique, l'amour de sa jeunesse qu'elle n'a jamais oublié. Au fond, ne serait-ce pas pour lui qu'elle est revenue ? Mais Simon n'est plus libre : il est marié,  père d'un enfant malade.

Claire arpente pendant des heures la lande, épie Simon lovée dans un recoin de la falaise, observe la mer et ses humeurs. Elle sombre peu à peu dans l'absence aux autres, devient partie intégrante d'un lieu qui la phagocyte, la rend presque invisible. Tout ceci, avec la complicité muette de Paul, son frère venu la rejoindre, et sous le regard compréhensif et bienveillant de Jean, le curé compagnon de Paul, de Juliette la fille qu'elle a abandonnée il y a fort longtemps, du Père Calève amoureux de sa lande et de bien d'autres encore qui apporteront, chacun à sa manière, les détails indispensables à la compréhension de l'histoire de Claire.

"J'aimais Paul et j'admirais le couple que le frère et la soeur formaient. J'étais émerveillé devant la solidité du lien qui les unissait. Rien de ce que l'un ou l'autre pouvait faire n'était capable d'altérer l'affection qu'ils se portaient. Rien de ce qu'ils avaient pu connaître au cours de leurs métiers, mariages, démissions, divorces, ni le frère ni la soeur ne voulaient l'examiner. Et surtout, en aucun cas ils n'auraient voulu le juger. Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse." Jean (page185)

Une fuite qui ne laisse rien au hasard puisqu'elle est retour à la terre originelle."Terre mère" avec laquelle elle a toujours gardé un lien indéfectible. Terre de contemplation, de méditation, de dénuement volontaire afin d'accéder à la paix et au repos.

A partir de la mort de Simon ce fut la paix. Une paix étrange, totale, vint sur Claire. Une paix inentamable atteignit Claire. Il en est allé ainsi de tous les jours qu'elle vécut à partir de là. Tout était accompli et elle survivait simplement à cet accomplissement. Ou plutôt elle participait à cet accomplissement. Elle errait encore dans le monde après son amour, regardant de loin son amour comme si tout était fini depuis longtemps. Elle avançait sur la lande où elle achevait son parcours. [...]Claire était devenue Simon et était devenue le lieu." Paul (pages230-231)

D'une écriture débarassée du superflu, précise mais évocatrice, où chaque mot est pensé, essentiel, l'auteur donne tant de vie à la lande que le lecteur ne serait pas surpris de voir apparaître les goules et les korrigans des vieilles légendes bretonnes.

Une histoire romanesque qui nous parle de l'amour, de l'amour impossible, celui que l'on cache, de la solitude, de la mort, en un mot de la vie.



Editions Gallimard 2011 (252 pages)

Pascal Quignard :
   23/04/1948 naissance à Verneuil-sur-Avre dans l'Eure. Son père est proviseur, sa mère principale de collège. Enfance difficile : périodes de mutisme et d'anorexie. Musicien, s'essaie à différents instruments.
   1966-1968 études de philosophie à Nanterre. Ses professeurs : Emmanuel Levinas et Paul Ricoeur. Condisciple : Daniel Cohn-Bendit.
   1969 travaille aux éditions Mercure de France et Gallimard.
   1990-1993 préside les concerts des Nations aux côtés de Jordi Savall
   1991 crée, sous la houlette de François Mitterand, le festival international d'opéra et de theâtre baroques au château de Versailles.
   1994 se consacre entièrement à l'écriture.
   1997 hospitalisé pour une crise cardiaque. Expérience qui change sa façon d'écrire : mêle tous les genres. "En moi tous les genres sont tombés".

Bibliographie :
   1976 Le Lecteur
   1976 Carus (Prix des critiques)
   1986 Le salon de Wurtemberg
   1989 Les escaliers de Chambord
   1991 Tous les matins du monde (Film d'Alain Corneau avec Marielle et Depardieu)
   1994 Le sexe et l'effroi
   1997 Vie secrète
   2000 Terrasse à Rome (Grand prix du roman de l'Académie française)
   2002 Le dernier royaume : publication des 2 premiers volumes dont
            Les ombres errantes (Prix Goncourt)
   2005Le dernier royaume Publication de 2 autres volumes
   2006 Villa Amalia (Film de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert)
   2009 La barque silencieuse volume 6 de Dernier royaume.
   2011 Les solidarités mystérieuses.

http://.wikipedia.org/wiki/Pascal_Quignard/

www.comme-un-roman.com/...:pascal-quignard.html

jeudi 13 octobre 2011

L'obligation du sentiment de Philippe Honoré

      "Familles je vous hais !" (André Gide)

C'est dans un restaurant à l'ambiance feutrée, musique douce et service discret, que Jeanne et Louis vont mettre un terme à leur histoire. Comment ce couple exemplaire, image du bonheur parfait et de la réussite sociale en est-il arrivé là ? Quel événement a pu provoquer une rupture aussi soudaine et impensable il y a seulement quelques heures ?

Martin, le fils qu'ils ont voulu oublier, qu'ils ont souhaité ne plus jamais revoir, pourquoi Martin, après dix années de silence, leur a-t-il donné rendez-vous à l'aéroport avant son départ ? Que leur veut-il ? Pourquoi sont-ils ressortis anéantis de cette entrevue ?

L'auteur déroule au fil des pages, l'histoire de ce couple irréprochable, totalement fusionnel, dont l'harmonie sera pertubée par la venue d'un enfant.

Le lecteur surfe sur les apparences, cherche les failles d'une telle perfection. Une vie si parfaite qu'elle en devient inhumaine, glaciale, une vie sans tendresse où l'enfant ne trouve pas sa place.

Bien qu'envahi par un profond malaise provoqué par l'atmosphère dérangeante de ce roman, le lecteur ne peut qu'en continuer la lecture happé par cette écriture froide, précise, sans fioriture, à l'image de ce qu'elle nous raconte.

Editions Arléa septembre 2008 (123 pages)

Philippe Honoré est né le 25 novembre 1941 à Vichy.
Dessinateur de presse et illustrateur il adapte des oeuvres littéraires pour la scène. (Gide, Proust, Fassbinder etc...)
Ancien directeur de théâtre (Scènes du Jura et L'Onde à Vélizy-Villacoublay) il réalise sa 1ère mise en scène en 1984.
   En 2001 il publie un récit : La Mère prodigue (Ed. du Bord de L'eau)
   En 2008 L'Obligation du sentiment (Arléa)
Actuellement, il est directeur de la librairie Honoré à Champigny.

www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Honore/184626

http://lesaffiniteselectives.eu/spip.php?article24

samedi 20 août 2011

Le poids du papillon de Erri De Luca

"Le poids du papillon avait fini sur son coeur, vide comme un poing fermé." (pages 68-69)

Dans son précédent roman, Le jour avant le bonheur, Erri De Luca nous contait l'initiation d'un jeune orphelin napolitain. Occasion pour l'auteur d'évoquer Naples, sa ville, exubérante, grouillante et souvent indisciplinée.

Dans Le poids du papillon, le décor change totalement. Nous nous retrouvons dans les Alpes italiennes bien connues et appréciées de l'écrivain puisqu'il s'y adonne régulièrement à l'alpinisme en solitaire et pratiquant chevronné. Plus d'enfant en mal de "grandir" mais un face à face entre un homme et un...chamois. Deux personnages hors du commun qui se ressemblent !

L'homme, braconnier, "voleur de bétail", vit en solitaire dans une cabane les deux pieds bien ancrés dans sa haute montagne en parfaite symbiose avec son milieu. Milieu qui donne beaucoup à celui qui l'aime et le respecte, mais qui peut devenir dangereux et cruel quand sa colère gronde.

Le chamois, d'une taille exceptionnelle, orphelin, sa mère fût tuée par un chasseur, apprendra seul les dangers de la montagne et comprendra vite que l'homme peut devenir son pire ennemi. Bien que "roi" de sa harde il restera à l'écart du troupeau ne rejoignant celui-ci qu'afin de perpétuer sa descendance.

La rencontre de ces deux êtres d'exception est inévitable. Si le chamois a toujours réussi à déjouer les ruses du chasseur, celui-ci espère bien arriver à ses fins. La rencontre sera grandiose dans sa simplicité : ils vont se rejoindre dans l'immense sagesse de l'acceptation du temps qui doit s'achever. Et la force sera vaincue par la délicatesse et la douceur des ailes d'un papillon.

"Un bûcheron les trouva là au printemps, l'un sur l'autre, après un hiver de neige fantastique. Ils étaient encastrés au point de ne pouvoir être séparés qu'à la hache. Il les enterra ensemble. Sur la corne gauche du chamois, la glace avait laissé l'empreinte d'un papillon blanc." (page 69)

Il me paraît superflu de parler de beauté de l'écriture, elle est évidente bien sûr, mais je ne pense pas exagérer en disant qu'elle a, pour moi, le lyrisme du bel canto : l'auteur est italien et ne le renie pas !.Pourtant, jamais il ne s'éloigne de cette nature omniprésente, personnage à part entière de ce récit. Il nous dévoile le plus secret de la montagne. Grâce à lui nous l'entendons vivre, respirer, accueillir le vent, gémir sous les orages, attendre la neige. Paradis pour les hommes et les animaux qui la respectent, elle devient intraitable pour ceux qui la violent ou tentent de la vaincre et de la dompter.

Et si le lecteur attentif creuse entre les lignes, il pourra découvrir derrière les mots la sagesse de l'homme pétri d'humilité et la sensibilité de l'écrivain qui sème tout au long de ses pages les petits cailloux blancs de sa vie qui donnent tant d'humanité à son oeuvre.

Il peso della farfalla (2009) traduit par Danièle Valin
Editions Gallimard (2011) 81 pages

Erri De Luca
  1950 (20 mai) naît à Naples dans une famille bourgeoise ruinée par la guerre. La famille s'installe dans le quartier populaire de Montedidio, puis dans une "belle maison"où son adolescence ne sera pas plus heureuse.
  1968-1977 à la fin de ses études secondaires il s'engage dans la vie politique :Lotta continua, mouvement d'extrême gauche;
  1978 travaille chez Fiat où il participe activement aux luttes syndicales.
  1983 il découvre la Bible et se passionne pour l'Ancien Testament et apprend seul l'hébreu.
  1992-1995 Bosnie-Herzégovine où il est chauffeur de camion dans les convois humanitaires.
  2001 il vit dans la campagne romaine dans une ancienne étable : vie spartiate, monacale en harmonie avec la nature.
C'est un alpiniste émérite qui s'est mesuré, entre autre, à l'Himalaya et l'Annapurna.

Quelques titres :
  1992 Une fois par jour (Verdier)
  1993 Acide' Arc-en-ciel (Rivages)
  1994 Un nuage comme tapis (Rivages)
  1996 En haut à gauche (nouvelles Rivages)
  1998 Tu, mio (roman Rivages)
  2001 Trois chevaux (roman Gallimard)
  2002 Montedidio (roman Gallimard)
  2004 Noyau d'olive (Gallmard)
  2008 Le contraire de un (nouvelles Gallimard)
  2010 Le jour avant le bonheur (roma Gallimard)

Pour une documentation plus complète :
  http://fr.wikipedia.org/wiki/Erri_De_Luca





lundi 25 juillet 2011

Un été sans les hommes de Siri Hustvedt

"Être un poète célèbre n'est pas la même chose qu'être célèbre" John Ashbery

Libre à vous de ne pas partager mon avis, mais cette fois c'est d'une de mes déceptions que j'aimerais vous entretenir.

Combien aura-t-il fallu que je lise de ses livres pour réaliser que Siri Hustvedt m'ennuie ? C'est valable, en particulier, pour ses dernières parutions qui me semblent ne pas présenter grand intérêt. J'avoue ne pas en avoir terminé la lecture. Ce n'est pas le cas de "Un été sans les hommes", je l'ai lu jusqu'à la dernière page (sans cela je n'aurais pas l'outrecuidance de venir vous en parler), mais je dois le dire, il m'a prodigieusement agacée.

Ce que je lui reproche ? D'enfoncer des portes ouvertes, d'énoncer des vérités évidentes pour chacun, de "balayer" large, de vouloir nous convaincre de l'immensité de sa culture, ce dont on n'a jamais douté.

Pour dépeindre l'histoire de son couple à la dérive, (quoi de plus banal qu'une femme dans la cinquantaine quittée par un mari désireux de faire une pause avec une jeunette ?) est-il besoin de convoquer la cohorte de ses auteurs de chevet, d'évoquer tous les âges de la vie, de nous en détailler tous les problèmes : les bagarres d'un jeune ménage avec enfants, les états d'âme d'adolescentes en mal de poésie, les préoccupations de vieilles dames et de leur club de lecture ?

Tout ceci me semble prétexte à philosopher, à discourir à l'ombre de Shakespeare et de Freud, à décortiquer un roman de Jane Austen et à développer des théories littéraires et neuroscientifiques qui n'ont pas nécessairement leur place ici.

 Je ne résiste pas à l'envie de vous citer ce que j'intitulerais le lamento de Mia (Mia, poétesse de son état, est, vous l'aurez deviné, la femme délaissée) :

"Bonne vieille mama Mia, couchée dans ce grand lit de roi aux vastes espaces vierges, une étendue de draps blancs qu'elle emplit de discours intérieurs et de souvenirs, un tourbillon de mots, de pensées, de douleurs et de chagrins. Mia, mère de Daisy. Mia, mère d'abandon. Ci-devant épouse de Boris. Mais quel dur changement maintenant, toi parti. O Milton dans la tête. O Muse. O Mia, nigaude rhapsodique, bimbo chialeuse, ne languis plus ! Enroule tes ennuis, essuie tes meurtrissures, envoie balader tes chaussures et chante pour toi-même quelque chanson sotte, toi qui navigues sans roi sur cette goélette de lit, pas de reine de pacotille pour toi, Barde à la Face Rieuse, mais un roi." (page 167)

Est-ce de la poésie ? Ma foi, je suis totalement hermétique à cette poésie-là. Si vous ne partagez pas mon avis, c'est votre droit le plus strict et je le respecte, vous devez me juger bien sévère. Sachez, tout simplement, que ma sévérité est à la hauteur de ma déception.

Roman traduit de l'américain par Christine Le Boeuf

Editions Actes Sud 2011 (216 pages)

Siri Hustvedt est née dans le Minnesota le 19 février 1955 d'un père américain d'origine norvégienne et d'une mère norvégienne. Poétesse, essayiste et romancière elle est diplômée de littérature anglaise de l'iniversité de Columbia.
1992 Les yeux bandés
1996 L'envoûtement de Lily Dahl
2003 Tout ce que j'aimais
2006 Plaidoyer pour Eros
2007 Elégie pour un américain
2010 La femme qui tremble. Une histoire de mes nerfs.

http://fr.wikipedia.org/Siri_Hustvedt

dimanche 3 juillet 2011

Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson

Un pêcheur islandais meurt d'avoir trop aimé la poésie.

"Nous allons te parler de gens qui vivaient en notre temps, soit il y a plus de cent ans..." (page 11)

Sur la côte ouest de l'Islande, entre mer et montagne, Barour et le gamin quittent le village par un chemin escarpé et dangereux pour rejoindre le campement des pêcheurs et attendre un éventuel départ pour une campagne de pêche à la morue.

Seul maître à bord, le capitaine après avoir scruté la nuit, consulté les étoiles, humé le vent, écouté les vagues décide : "on sort, il ne le dit pas bien fort, mais cela suffit, sa voix s'infiltre dans les plus profonds des rêves, déchire le sommeil et tout le monde se réveille." (page 35)

Et les six hommes commencent leurs préparatifs pour embarquer et partir pour une pêche hautement dangereuse et souvent meurtrière : six rameurs à bord d'une barque de huit mètres confrontés à une mer parfois déchaînée, aux vents si froids qu'ils paralysent les bras, les esprits, et livrent les hommes à leur seul instinct de survie.

C'est l'équipée de tous les dangers qui imposent aux marins vigilance et rigueur, et ne pardonnent aucune erreur, aucun oubli.

Barour, fou de poésie, avant d'embarquer, ira vite relire quelques vers du Paradis perdu de Milton et dans sa précipitation pour regagner la barque laissera sa vareuse au campement. Quand le vent fraîchit, que le gros temps se lève, Barour réalise alors l'étendue de son oubli fatal. Malgré l'aide du gamin et des autres marins il ne pourra pas lutter contre les éléments et ne survivra pas à son erreur.

De retour à terre, le gamin décide d'aller rendre au Capitaine aveugle le livre que celui-ci avait prêté à son ami. Il entreprend seul le retour au village, parcours initiatique et périlleux dans une région hostile et dangereuse. Moments de réflexion, de doute où il remet en question son désir d'en finir et la nécessité de continuer à vivre. Mais au bout de cet épuisant chemin, peut-être finita-t-il par trouver la réponse ?

L'écriture est tantôt âpre et dure à l'image de la nature, tantôt tendre et poétique quand elle parle de l'amitié, de l'amour, de la peine des hommes. L'auteur adopte un ton familier, prend le lecteur à témoin, affiche un certain sens de la formule et la poésie, par sa tournure naïve, donne à l'ensemble une impression de fausse simplicité.

Titre original : Himnariki Og Helviti 2007

Traduit de l'islandais par Eric Boury

Editions Gallimard 2010

Jon Kalman Stefansson est né le 17/12/1963 à Reykjavik où il grandit ainsi qu'à Kalfavik   
1982 : arrête le collège, fait des petits boulots tout en poursuivant ses études.
1986 : commence des études de lettres qu'il arrête en 1991 pour faire du journalisme.
1992-1995 : vit à Copenhague où il s'adonne à une lecture compulsive, retourne en Islande, s'occupe de la bibliothèque de Mosfellbaer.
Depuis 2000, il publie des contes et des romans (4). Entre ciel et terre, sera le 1er à être traduit en français en 2010.

fr.wikipedia./org/.../Jon_Kalman_Stefansson

mardi 31 mai 2011

Les insurrections singulières de Jeanne Benameur

Que serait l'homme sans les mots ?

Il y a Antoine, l'enfant mutique déjà trop à l'étroit dans son milieu familial,
   Antoine, l'étudiant décalé, étranger au monde de la fac, qui finit par entrer à l'usine pour "faire l'ouvrier" parce que pour lui c'était inévitable, programmé, 
   Antoine, l'adulte de quarante ans contraint de revenir vivre chez ses parents après le naufrage de sa vie amoureuse.

Mais surtout, il y a les mots : les mots qui étouffent Antoine, les mots muets qui lui envahissent la tête et dont il ne sait que faire,
   les mots silence que Karima aurait aimé entendre et qu'il n'a jamais su lui dire,
   les mots usurpés quand il devient porte-parole des ouvriers révoltés par la délocalisation de leur usine,
   les mots partagés quand il raconte, au Brésil, la vie de Jean Moulevade, le fondateur de l'usine jumelle de la leur et source de leurs problèmes,
   et puis, il y a les mots de Marcel, vieux bouquiniste amoureux des livres, qui lui ouvre sa maison et sa bibliothèque.

Marcel qui lui donne accès aux livres et à des horizons insoupçonnés,
   Marcel père spirituel et complice de ses découvertes, de ses tâtonnements, qui dans son immense sagesse l'accompagne "de loin" vers ce à quoi il aspire, vers la révélation de "sa singularité".
   Marcel l'instigateur de leur voyage au Brésil où il fait la connaissance de la belle et mystérieuse Thaïs.

Thaïs sa guide et son interprète qui lui fait prendre conscience que chaque langue a sa propre musique, que les mots doivent être entendus et compris.
   Thaïs dont il devient amoureux. Amour partagé, bonheur inattendu qui vont libérer, enfin, tous les mots qui l'étouffent.

Alors Antoine se met à écrire les mots libérés : il les aligne, les ordonne sur des papiers collés aux murs dans une fièvre incontrôlée. Il sait, maintenant, que pour exister, les mots doivent être écrits pour être lus.

De cette histoire intimiste, ancrée dans une réalité sociale de lutte et de rébellion, l'auteure, de son écriture poétique et sensuelle en fait un vibrant hommage à la liberté et à la littérature.

Editions Actes Sud 2011 (198 pages)

Jeanne Benameur
   écrivain français, est née en Algérie, en 1952, d'un père tunisien et d'une mère italienne.
   Elle arrive en France à l'âge de 5 ans et vit à La Rochelle.
   Elle écrit d'abord pour la jeunesse. Quelques titres de ses romans :
   Ca t'apprendra à vivre 1998 (Seuil)
   Les demeurées 2001 (Denoël)
   Les mains libres 2004 (Denoël)
   Présent ? 2006 (Denoël)
   Laver les ombres 2008 (Actes Sud)

fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Benameur   
www. evene.fr/.../jeanne-benameur-20998php

lundi 9 mai 2011

Le monde sans vous de Sylvie Germain

 L'absence jamais ne se comble !

C'est pendant son voyage dans le Transibérien, en juin 2010, que Sylvie Germain convoque poètes, conteur et shaman pour un ultime adieu à sa mère disparue.
Sibérie, terre lointaine, gardienne de corps fossilisés retrouvés pratiquement intacts après des millénaires, si loin de la terre familière qui vient, à son tour, d'accueillir le corps de sa mère.
Terres similaires, parallèles qui exacerbent les souvenirs et la douleur de l'absence et nous plongent au coeur de l'intime sans jamais le violer.

A ces "Variations sibériennes", l'auteure associe "Kaléïdoscope ou notules en marge du père" déjà publié en 1988 dans un ouvage collectif.

Le songe de Constantin, de Pierro della Francesca, c'est "le chemin de traverse" que choisit l'auteure pour évoquer son père, être lumineux à la voix "légèrement sourde, calme et douce", "pétri des choses de la terre", narrateur amoureux des mots, "orpailleur du langage".
A l'âge de 11 ans, il découvre Vézelay et la démesure de sa beauté, et au hasard d'une lecture le désert de Mauritanie qui le hantera mais qu'il n'aura jamais l'occasion de voir.
Toute sa vie, il posera sur le monde son regard d'enfant simple et confiant.

"Alors lui, le fils, s'est retrouvé soudain dejeté hors de son âge, saisi par un chagrin d'orphelin. Dorénavant nul vivant ne se tient en amont de sa vie. C'est son tour de prendre la place d'amont, et de veiller sur la mémoire, et de haler le nom des morts le long des jours, et de transcrire les fragments sauvegardés des récits de leurs vies à l'intérieur du texte de sa propre existence. Son tour est venu de devenir passeur.
Passeur d'enfance et de mémoire, passeur de mots et de regard." (pages 106-107)

Un récit avec lequel on n'en a jamais fini. Qu'il faut lire, relire encore pour saisir toute la beauté et la poésie de son écriture. Livre de chevet qu'on ouvre, au hasard, pour en savourer toute l'émotion, et y trouver apaisement et sérénité.

Editions Albin Michel, 2011 (130 pages)

Sylvie Germain est née en 1954 à Châteauroux.
Années 70, études de philosophie avec Emmanuel Levinas
1986-93, séjourne en Tchécoslovaquie où elle enseigne la philosophie et le français à Pragues
Depuis 1994 activité littéraire uniquement.
Pour une bibliographie complète et très abondante consulter le lien suivant

fr.wikipedia.org/wiki/Sylvie_Germain

mardi 5 avril 2011

La vie très privée de Mr Sim de Jonathan Coe

Maxwell Sim ou l'anti-héros !

C'est l'histoire d'un loser [Voilà ce qu'il faudra graver sur ma tombe : "Ci-gît Maxwell Sim, un type archibanal"] qui rate tout ce qu'il entreprend, sa vie amoureuse, sa vie professionnelle, par inaptitude au bonheur et à la réussite.

Dépressif et solitaire, il se laisse embarquer dans des situations sans avenir qui le laissent invariablement sur la touche.

Ne comptez pas sur moi pour vous narrer le fiasco de son maiage, l'inaboutissement de ses amitiés, la déroute de son boulot de VRP en "brosses à dents révolutionnaires", qu'il me suffise de vous dire que son entreprise va capoter et qu'au cours de démarchages dans le nord de l'Angleterre, il décidera soudain de prendre le chemin des écoliers pour un retour aux sources au pays de son enfance. Pendant ce périple, il finira par tomber amoureux de Emma, c'est ainsi qu'il a baptisé la voix de son... GPS, mais surtout, il découvrira la signification de certaines scènes ressurgies de son passé.

J'arrête là l'histoire de cet "archibanal" sympathique et attendrissant qu'on a souvent envie de secouer pour le ramener sur terre. Beaucoup d'humour dans l'écriture n'empêche pas Jonathan Coe d'écornifler au pasage les travers de l'époque que nous vivons et que Maxwell Sim, rêveur invétéré, ne peut que subir. Cerise sur le gâteau, l'auteur nous a concocté une fin inattendue et délirante !

Editions Gallimard -2010 (450 pages) Traduit de l'anglais par Josée Kamoun - janvier 2011

Jonathan Coe, écrivain britannique est né à Birmingham le 13 août 1961.
   Testament à l'anglaise, prix Fémina étranger (1995) le fera connaître en France.
   La maison du sommeil, Prix Médicis étranger (1998)
   Bienvenue au club (2001)
   Le cercle fermé (2004)
   La pluie avant qu'elle tombe (2009)

fr.wikipedia.org/wiki/jonathan_coe

dimanche 27 mars 2011

Le fruit du silence de Arnauld Pontier

"Fils de nazie contre fille de juive. Enfants parjures." (page 141)

Un père à la recherche de son enfant, de jeunes adultes en quête d'une filiation, des hommes et des femmes en souffrance, sont les personnages de ce roman. Brisés par leur passé, ils ne  peuvent se reconstruire puisque dans l'incapacité de trouver l'oubli.

Arnauld Pontier nous entraîne dans un jeu de pistes où chaque titre de chapitre : un prénom, un lieu, une date, fournit des indices, des informations qui permettent au lecteur d'avancer, de relier peu à peu les protagonistes les uns aux autres. Petit à petit, les morceaux du puzzle s'emboîtent, les faits s'assemblent, les liens se créent, le mystère s'éclaicit.

Gert l'allemand, "pour son malheur", court le monde pour retrouver un certain Dr Castello susceptible de le conduire à Jurij qui sait , sans doute, où est son fils, cet enfant qu'il n'a vu que quelques instants à sa naissance.

Jurij, qui change d'identité, se prétend  polonais et juif, dit s'appeler Pawel ? Soigné à Ischia par le Dr Castello, opiomane invétéré, devenu écrivain, personnage fuyant, peu fiable, jamais là où on l'attend !

André, qui n'a pas connu sa mère, sait qu'il est né en Pologne en 1943, connaît Jurij qui venait régulièrement le voir à l'orphelinat. André amoureux de Flora, secrète, insaisissable, elle l'entraîne dans un drôle de milieu qui le déstabilise.

Rachel qui sait mais ne dit rien et par qui la vérité se fera jour. Rachel qui apportera enfin le repos à Gert.

Et puis les autres, Sarah la juive, Ghamal le musulman, Sergio dévoué à Giovanna, Ferraud qui a élevé Flora, Klaus et Dora amis de Jurij, Mechtilde la grande absente. Tous ceux qui ont fait de ce livre une histoire pleine d'humanité.

Bien sûr, ils ne seraient pas là sans le talent de l'auteur qui de son écriture  dense, précise, sans pathos, au plus près de ses personnages,  nous permet de les accompagner sans faillir un seul instant. Cette fois encore, il nous surprend par un dénouement inattendu.

      Editions Actes Sud (2008)

Arnauld Pontier, quelques dates pour nous repérer :
       1957 Naissance à Valenciennes. Il vit au Laos puis en Algérie. revient en France en 1971
       1979 faculté de Lettres modernes à Aix-en-Provence
       1981 arrive à Paris
       2002 La fête impériale (1er roman)
       2003 La treizième cible
       2005 Le cimetière des anges
       2006 Equinoxe

Pour mieux connaître l'auteur, consultez son site attrayant et "copieux" :
           http://www.arnauld-pontier.com/

jeudi 10 mars 2011

Indignation de Philip Roth

De la difficulté de devenir un homme.

Marcus enfant sans histoire, bon fils, bon élève donne entière satisfaction à ses parents qui tiennent une boucherie kasher à Newark dans le New Jersey. A la grande fierté de son père, Marcus est le premier de la famille à entrer à l'université pour continuer ses études.

Etudiant, il décide de quitter Newark et de s'inscrire au Winesburg  College au fin fond de l'Ohio pour s'éloigner de sa famille et fuir ainsi un père trop protecteur en proie à une inquiétude permanente et maladive au sujet de son fils.

Marcus, étudiant exigeant, vulnérable et naïf a du mal à s'intégrer, accumule les erreurs, les audaces aussi et tombe dans les bras d'Olivia fille suicidaire et déjantée.

Nous sommes en 1950, la guerre de Corée a débuté, Marcus raconte d'un au-delà improbable "cette série de mésaventures dont la conclusion fut ma mort à l'âge de dix-neuf ans".

Dans ce roman d'apprentissage, Marcus nous dit tout de sa vie d'enfant, de sa complicité avec son père qui l'initie très jeune à son métier de boucher, de la communauté juive de Newark, de ses années de collégien, de sa vie heureuse et sans problème.

Tout dérape quand il décide de partir loin des siens. Mal préparé à une vie différente et solitaire, plongé dans ce milieu étudiant avec ses codes, ses clans et ses discriminations, il va très vite se marginaliser.

Dans ce livre bref, ramassé le lecteur retrouve les thèmes récurrents chez Philip Roth : une jeunesse corsetée par les tabous sexuels, l'emprise de la religion et le conformisme américain.

       2008  Editions Gallimard (195 pages) 2010 pour la traduction française par Marie-Claire Pasquier.


Philip Roth, juif américain est né à Newark en 1933 où ses parents se sont installés pour fuir l'Europe des pogroms. Judéité et américanité sont pour lui indissociables. Il vit dans le New Jersey, le Connecticut, à New York et un temps à Londres. Il déteste les journalistes qui ne posent jamais les bonnes questions !!!

        "Le vrai écrivain n'est pas celui qui raconte des histoires, mais celui qui se raconte dans l'histoire. La sienne et celle, plus vaste, du monde dans lequel il vit".
                Philip Roth, cité par Michèle Gazier

Pour accéder à sa bibliographie :

         http://fr.wikipedia.org/wiki/Philip_Roth

mardi 22 février 2011

Cronos de Linda Lê

Quand les titans deviennent bourreaux !

"Le soldat frappe à coups de crosse l'homme qui serre un livre contre lui".

Bienvenue à Zaraffcity où il ne fait pas bon s'attarder après le couvre-feu décrété par le dictateur le Grand Guide et son âme damnée le ministre de l'intérieur Karaci dit La Hyène.

Exactions, atrocités paralysent les Zaroviens, les maintiennent dans un état de terreur permanente muselant toute velléité de rébellion. Les sbires des deux despotes exercent sans état d'âme une cruauté sans merci, trop contents du pouvoir qu'ils détiennent et qui, pour l'instant, les dispensent de subir le même sort que leurs victimes.

Le Grand Guide et sa cour se délectent de fêtes somptueuses où courtisans et affairistes intriguent pour s'attirer les faveurs du despote et obtenir richesse et protection aux prix des pires bassesses.

La Hyène aidé de ses "devins à la manque" fomente ses mauvais coups, sombre dans l'orgie, la démesure et la perversité. Rien, ni personne ne lui résiste surtout pas les "jeunes tendrons".

Afin d'éviter à son vieux père de finir ses jours dans la déchéance, Una, jeune et jolie femme, a dû accepter d'épouser Karaci. Elle survit et supporte difficilement sa condition d'otage qui la maintient en complète dépendance.

Un matin, Marko gamin des rues entre par effraction dans sa vie. Sa gouaille, son optimisme éclairent son quotidien, sortent son vieux père de sa léthargie et les empêchent de sombrer dans le désespoir.

Mais La Hyène veille et tient enfin une vengeance à la hauteur de l'affront que lui fait subir Una en se refusant à lui.

C'est alors que Una décide d'entrer en rébellion.

Dans ce roman violent, Linda Lê alterne deux styles complètement différents et allège ainsi son récit.
    Dans les lettres de Una à son frère exilé, témoignage amer et désespéré d'une situation invivable, le lecteur retrouve l'écriture exigeante et élégante de l'auteure.
    A l'opposé, le langage trivial de Karaci démontre, s'il en est besoin, sa vulgarité et ses outrances finissent par le ridiculiser et le décréditer à nos yeux au fil des pages.
    Dans cette fable, la morale est bien cachée, l'espoir est bien mince et il se paie cher. Sans aucun doute, le lecteur ne manquera pas de faire certains rapprochements et l'actualité mondiale ne pourra que lui donner raison.

2010 Christan Bourgois Editeur (164 pages)

Linda Lê
    Naît au Vietnam en 1963 d'un père vietnamien et d'une mère issue d'une famille naturalisée française.
   Vit à Dalat puis à Saïgon, sous un régime assez dur de 75 à 77. Elle n'a que 12 ans mais prend conscience de certains changements.
    A Saïgon, ses études au lycée français, son comportement en retrait génèrent un isolement qui l'incite à se réfugier dans la lecture.
    En 1977 exil en France au Havre avec sa mère, sa grand-mère et ses soeurs. Son père resté au Vietnam ne viendra jamais les rejoindre.
    En 1981 monte à Paris, suit les cours de Khâgne au Lycée Henri IV puis s'inscrit à laSorbonne.
    En 1986, à 23 ans publie son 1er roman "Un si tendre vampire"
    En 1989 "Lettre morte" en hommage à son père.

Pour consulter sa bibliographie cliquer sur le lien ci-dessous;

http://fr.wikipedia.org/wiki/Linda_Lê

Un peu de mythologie ?
    Cronos, un des Titans de la mythologie grecque sépare sa mère Gaä (la terre) de son père Ouranos (le ciel).
    Métamorphosé en cheval, unit à sa soeur Rhéa, ils ont de nombreux enfants qu'il dévore à leur naissance sauf le dernier, Zeus, sauvé par sa mère. Adulte, Zeus contraint Cronos à restituer ses frères et soeurs et le précipite dans le Tartare.

dimanche 6 février 2011

Sébastien (suite)

Seb, on l'appelle ainsi à Bar-les-Rives,
maintenant qu'il devient grand,
c'est lui qui pousse le fauteuil de son grand-père
pour les sorties dominicales au bistrot
et la cérémonie du 11 novembre au monument aux morts.

Ultime consécration, il accompagne Albert et ses copains à Paris
pour les retrouvailles des anciens d'Algérie.
"Il n'en parle jamais, grand-père, de l'Algérie !".

N'empêche, Seb est heureux, un voyage à Paris, entre hommes !
Il est bien, il oublie le centre, il est apaisé...

Il raconte bien Sébastien avec ses mots simples, percutants,
sa perception vraie, sans concession d'un monde "adulte"
qu'instinctivement il refuse.
Mais ce monde n'aura-t-il pas raison de lui ?

2010 La fosse aux ours (139 pages)

Jean-Pierre Spilmont né en 1937 vit en Savoie, se consacre à l'écriture,
a été producteur d'émissions et auteur de dramatiques sur France Culture
et à la Radio suisse romande.
Son roman La traversée des terres froides a été réédité par La fosse aux ours
en 2008.

Sébastien de Jean-Pierre Spilmont

Un enfant trahit par les hommes

Il a froid,
toujours quand on le regarde comme ça.

Il lui demande de raconter,
il n'a rien à dire.
Alors Bourgoin pose des questions
et lui, le taiseux, le presque muet,
libère les mots et raconte enfin !

Sa vie à Mourcets, ses parents débordés
par le magasin et leur rang à tenir.

Bar-les-Rives où ses grands-parents
l'attendent et l'accueillent le week-end et les vacances.

Il raconte l'école,
c'est pas brillant !
"La mère Vrignant", la directrice, dit qu'il reste dans son monde.
C'est vrai !
Il n'a pas envie d'entrer dans celui qu'on lui impose.
Alors, "la mère Vrignant" conseille qu'on l'envoie dans un centre
pour enfants "qui ne fonctionnent pas bien à l'école".

C'est décidé :
à la rentrée, il entre au pensionnat Les Etangs à la satisfaction
de parents pressés de s'en débarasser et de repartir sans se retourner.

Et Sébastien se retrouve seul pour affronter Frémieux,
ses yeux en "lame d'Opinel" et "son sourire de loup",
pour s'adapter à ce lieu à l'écart de la vraie vie où
règne la loi du plus fort.

Sébastien compte les jours qui le séparent du week-end.
Chez ses grands-parents, il est attendu avec tendresse et bonté.
Là surtout, il retrouve son complice, son grand-père :
"c'est le seul en qui j'ai confiance".