lundi 23 mai 2016

Petit Piment d'Alain Mabanckou

    Il va falloir vous y faire, le dernier roman de l'auteur est un festival de noms imprononçables et impossibles à mémoriser :
    "Tout avait débuté à cette époque où, adolescent, je m'interrogeais sur le nom que m'avait attribué Papa Moupelo, le prêtre de l'orphelinat de Loango : Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko. Ce long patronyme signifie en lingala "Rendons grâce à Dieu, le Moîse noir est né sur la terre de nos ancêtres", et il est encore gravé sur mon acte de naissance..."
    On l'appelait tout simplement Moïse, ce n'est qu'un peu plus tard qu'il devint Petit Piment.
    Chaque dimanche, le prêtre était attendu avec impatience par les enfants. Avec lui, ils pouvaient enfin s'éclater en chantant et dansant sous la baguette de Papa Moupelo qui n'hésitait jamais à donner l'exemple. Le déchaînement était à son comble quand ils attaquaient la danse des Pygmées du Zaïre.
    Le reste de la semaine, la vie était dure à Loango qui s'apparentait plus à une maison de redressement qu'à un orphelinat. Le directeur, Dieudonné Ngoulmoumako, despote corrompu exerçait sur les enfants une autorité abusive, secondé par des "surveillants de couloir" acquis entièrement à sa cause puisque tous choisis parmi les membres de sa famille. Quant à l'administration, d'un accord tacite elle tolérait une situation qui lui permettait de placer les cas difficiles tels les jumeaux Songi-Songi et Tala-Tala.

    Arrive l'indépendance du Congo, la révolution socialiste se met en marche et le Parti congolais du travail prend le pouvoir. Pour fuir un orphelinat dirigé par un homme plus préoccupé de garder son poste que de protéger les pensionnaires, Moïse-Petit Piment décide de partir sans réussir à convaincre Bonaventure, son meilleur ami, de l'accompagner. Il part pour Pointe- Noire, erre et vit dans la rue, puis sur la Côte sauvage où il retrouve les jumeaux qui se battent pour en devenir les caïds. Miraculeusement, il rencontre Maman Fiat 500, mère maquerelle et ses dix filles. Elle l'accueille au bordel où il deviendra " l'homme" à tout faire de la maison. Quand, à la suite d'une politique d'assainissement contre la prostitution, le maire de Pointe-Noire les fera disparaître du quartier des Trois-Cents, il en perdra la raison sans jamais oublier qu'il a décidé de les venger.

    Difficile de ne pas penser à Oliver Twist de Dickens et de ne pas se passionner pour l'histoire de Petit Piment qui n'est certes pas auto-fictionnelle mais dont les souvenirs d'enfance de l'auteur ont sûrement étayé la description de la vie grouillante des rues de Pointe- Noire. Comme toujours il mêle avec bonheur le drame et la drôlerie et décrit en filigrane les années 60-70 d'un Congo qui se cherche et qui n'échappe pas aux compromissions, à la corruption et aux conflits ethniques.

    Petit Piment est le cinquième roman d'Alain Mabanckou que je lis. Si je les ai tous lus  avec plaisir et intérêt, Lumières de Pointe-Noire reste mon préféré : le récit émouvant du retour de l'auteur au pays, des retrouvailles avec sa mère après une absence de 23 ans.

    Editions du Seuil, août 2015 (247 pages-18,50€ )  

jeudi 5 mai 2016

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre

    Beauval petite ville entourée de forêts à l'ambiance provinciale où tout le monde se connaît, où les secrets ne sont jamais bien longtemps gardés ! Antoine y habite dans un quartier paisible et sans histoires. Fils de divorcés, il ne voit plus son père installé en Allemagne et vit seul avec sa mère, une femme qui a des principes et les applique sans faillir.
    En 1999, Antoine a 12 ans quand l'histoire commence et que la fabrique de jouets en bois, unique entreprise de la ville, se met à péricliter. Situation d'autant plus difficile pour son directeur qu'il est aussi maire de la commune et qu'il doit faire face à l'inquiétude des habitants soucieux de leur avenir. Encore épargnés par les préoccupations des adultes, Antoine et ses copains n'ont rien changé à leurs habitudes : qu'ils construisent des cabanes dans la forêt de Saint-Eustache ou qu'ils jouent autour de la scierie ils n'échappent que rarement au contrôle bienveillant d'un adulte passant par là.
     Ulysse, le chien de leurs voisins les Desmedt, avait pris l'habitude de suivre Antoine dans ses vagabondages solitaires et Antoine avait pris l'habitude de lui parler, de lui confier ses problèmes que l'animal semblait écouter avec attention. Parce qu'elle le trouvait digne de confiance, Mme Desmedt permettait parfois à Rémi, son fils âgé de 6 ans, de les accompagner.
    Quelques jours avant Noël, Antoine délaissé par ses copains trop occupés à jouer avec la PlayStation de Kévin objet de toutes les interdictions maternelles, décide par dépit de construire seul une cabane suspendue dans les arbres et d'en garder le secret. Mais il ne résistera pas longtemps à la tentation de la faire visiter à Rémi admiratif qui a promis de se taire.

    "Dans le triangle père absent, mère rigide, copains éloignés, le chien Ulysse occupait évidemment une place centrale.
     Sa mort et la manière dont elle survint furent pour Antoine un événement particulièrement violent."

    Elle est surtout à l'origine d'une série d'événements tragiques qui semblaient vouloir s'acharner sur la ville. Et c'est ainsi que les habitants, frappés de stupeur, ont appris la disparition du petit Rémi et qu'Antoine était le dernier à l'avoir vu vivant ! Antoine qui dans un moment d'égarement est propulsé au coeur d'un drame qui le dépasse et qui plonge la population dans la stupéfaction et la douleur.
    Un roman sur la culpabilité mené rondement d'une écriture qui sait évoquer l'ambiance délétère d'une petite ville rurale désarçonnée face à l'amplitude et la gravité des événements, face au questionnement et à la suspicion. Les personnages sont bien vus, certaines scènes sont savoureuses même si par son insistance l'auteur, parfois, semble dévaloriser la province profonde et la maréchaussée !
    Les péripéties s'accumulent, deviennent de plus en plus menaçantes pour Antoine, volonté un peu trop  appuyée de l'auteur de maintenir le lecteur en haleine et si rocambolesques qu'elles retirent toute crédibilité au récit. Elles nous acheminent vers un dénouement qui, je l'avoue, après m'avoir bien agacée, a fini par me faire sourire.






    Editions Albin Michel 2016 (280 pages- 19,80€)