mardi 21 juillet 2015

Carambole de Jens Steiner

    Jeune auteur né en 1975 à Zurich, Jens Steiner a reçu pour Carambole son deuxième roman, le premier traduit en français, le prestigieux prix littéraire suisse, le Schweizer Buchpreis en 2013.
    Douze chapitres, douze "rounds" juxtaposés nous content l'histoire d'une journée ordinaire dans un village suisse écrasé par la chaleur estivale qui plombe l'atmosphère et maintient les villageois dans l'indolence et l'attente du moindre incident qui viendrait rompre la monotonie de cette journée : les enfants se traînent, les adultes se cherchent et s'évitent, s'observent et ressassent de vieux souvenirs et des regrets dans un immobilisme qui engourdit les consciences.
    Et pourtant, une star du tennis a disparu, un SDF est retrouvé mort, une explosion se produit, une mère part avec son fils, un flirt se termine mal.
    "...je ne regarde pas comme il faut, voilà pourquoi tout reste silencieux."
     Des chroniques qui se croisent, des personnages qui semblent ne rien avoir en commun, qui disparaissent, reviennent en sourdine, à l'arrière plan, des liens qui deviennent évidents et les pièces du puzzle commencent à se mettre en place.
    Douze récits, douze regards différents ! Une construction innovante où l'auteur réclame du lecteur attention et persévérance en l'invitant à glaner au fil des pages les indices par lui "éparpillés" et indispensables à la reconstitution du kaléidoscope.
     "... il y percevrait la plainte du village, qui lui dirait qu'il est en train de perdre son âme, car bientôt il n'y aura ici plus personne en attente d'un début ; au lieu de cela, il n'y aura plus que des débuts, et on oubliera ce que l'attente signifie, or l'attente est l'âme du village, l'attente de rien et de tout, l'attente qu'il se passe enfin quelque chose."





   Editions Piranha 2014 traduit de l'allemand (Suisse) par François Mathieu avec la collaboration de Régine Mathieu. (189 pages-17€)

 

mercredi 8 juillet 2015

Amours de Léonor De Récondo

    De bonnes critiques et un accueil chaleureux du public m'avaient laissée espérer autre chose de ce roman qui m'a terriblement déçue. Aucune envie de m'investir dans cette histoire ancillaire début XXème siècle, aucune curiosité pour ce scénario qui, dès les premières pages, se révèle totalement prévisible. C'était sans compter avec le talent de l'auteure qui sait capter et retenir l'intérêt du lecteur.
    Avec un réalisme convaincant elle décrit la vie étriquée d'une petite ville provinciale, la maison bourgeoise du notaire où évoluent maîtres et serviteurs prisonniers de leur condition sociale. Elle avait surtout éveillé ma curiosité : j'avais très envie de savoir comment elle mettrait au goût du jour et de quelle façon elle terminerait ce que je considérais comme un vulgaire "remake" d'un roman d'une époque révolue !
 
    Anselme et Victoire de Boisvaillant occupent évidemment les parties nobles de la maison, Céleste, la jeune bonne, se contente d'une chambre rudimentaire au dernier étage, quant à Pierre et Huguette, le jardinier et la cuisinière, ils habitent une dépendance dans le parc.
    Quand le désir le taraude Anselme de Boisvaillant escalade l'escalier du dernier étage pour aller sans vergogne et sans un mot mais avec brutalité "besogner" Céleste qui, il en est certain, n'oserait jamais se rebeller. Son forfait accompli, il se rhabille au plus vite, regagne son étude et se met au travail. Pendant ce temps, Victoire dort en toute innocence dans ses draps de dentelle sans savoir qu'elle vient d'échapper à "l'instant de l'enchevêtrement immonde, comme elle l'appelle." Enchevêtrement d'autant plus inutile que son ventre semble atteint d'une inquiétante stérilité. Ce n'est pas le cas de Céleste qui ne tarde pas à se retrouver enceinte des oeuvres du maître de maison !
   Je vous laisse découvrir le cheminement et la réaction des personnages face à la situation. C'est de Victoire que viendra la solution :
    "Eh bien, Anselme, tu viens d'avoir la preuve que tu n'es pas si stérile! Evitons le scandale. Gardons cet enfant, il sera le nôtre. Ne chassons pas Céleste, laissons-la nous donner sa progéniture. Elle nous remerciera de donner un avenir à cet enfant, à notre enfant. Mais jusqu'à nouvel ordre ne t'approche pas de mon lit !"
    Le désir d'enfant n'est pas toujours suffisant quand l'instinct maternel est absent. Victoire en fait le difficile apprentissage. Et pourtant, c'est grâce au bébé qu'elle découvrira l'amour et la sensualité. Une révélation d'autant plus forte que l'aventure frappée d'interdit est carrément scandaleuse pour l'époque.
   L'écriture est rythmée, sensuelle quand elle évoque les corps celui de la femme en particulier qu'elle sait si bien magnifier. L'auteure évite avec raison de tomber dans un mélo qui ne fait qu'affleurer, plus accentué il aurait discrédité son propos.

    Sabine Wespieser Editeur 2015 (276 pages- 21€)