mercredi 21 novembre 2012

Autobiographie des objets de François Bon

             


    Les objets auraient donc une vie ? Certains ont une histoire intimement liée à la nôtre. François Bon en donne, dans son Autobiographie des objets, la preuve éclatante : miroir, Telefunken, le litre à moules, jouets, la caisse aux grenouilles, voitures à pédales, règle à calcul, la toise, panonceau Citroën, pattes d'eph, fournisseurs et ronds de serviettes ... J'arrêterai là mon énumération, simple aperçu des objets qui ont marqué son existence.
    Tous ces objets qui ont jalonné sa jeunesse sont prétexte à remonter le temps, ouvrir sa mémoire, évoquer ses grands-parents, ses parents et ressusciter la vie en cette campagne vendéenne éloignée de la ville et de ses influences.
    François Bon fait ici travail d'ethnologue, témoin d'une époque révolue où l'on savait prendre son temps, où la consommation ne gérait pas encore les vies. Parfois, il me semble entendre dans ce récit comme un soupçon de nostalgie.

      Editions du Seuil 2012 (245 pages)

mercredi 14 novembre 2012

Exercices de survie de Jorge Semprun

                   


    Emouvant et rassurant que ces mots nous parviennent par-delà la disparition de l'auteur.
    "Exercices de survie", perpétuelle obsession d'un homme condamné à la clandestinité. Comment gérer chaque jour une existence contrainte et polluée par l'angoisse de l'erreur fatale. L'erreur qui conduira à l'arrestation et à l'inévitable torture ?
    La torture ? Elle plombe les pages de ce récit parce qu'elle est menace permanente. Torture, à la réalité incommunicable, quand le "torturé" découvre que son corps, entité à part entière, est susceptible d'échapper à son contrôle et qu'il risque de prendre le pas sur son pouvoir de décision quand il n'aura plus que "la perspective lisse et glaciale de la mort."
    "C'est une expérience de solidarité autant que de solitude. Une expérience de fraternité, il n'y a pas de mot plus approprié."
     C'est ainsi que Jorge Semprun grandit la torture.
    Ces pages, écrites avec pudeur et retenue, rejoignent tous les autres témoignages qui nous permettent de ne pas oublier et de saluer tous ceux qui continent à résister.

    Editions Gallimard 2012 (110 pages)


dimanche 4 novembre 2012

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka

                       Bienvenues, mesdemoiselles japonaises !

    Bienvenues pour qui ? Pour les Japonais qui les attendent de l'autre côté de l'océan dans cette Amérique qui ne sera pas l'Eldorado qu'elles imaginent.
    Bienvenues pour elles qui partent, vendues par des parents qui n'ont pas eu le choix, pleines d'espoir pour une vie que les "maris" leur ont fait miroiter dans des lettres mensongères ?
    Bienvenues sur cette terre d'accueil qui fera d'elles des exilées sans aucun espoir de retour ?
    Bienvenues pour une première nuit qui, le plus souvent, ne sera que soumission. Soumission, maître-mot qui gère leur vie d'épouses transformées en main-d'oeuvre corvéable à merci. Travail harassant, exécuté sans une plainte, qui ne les dispensera pas d'élever des enfants sans grand espoir d'avenir.
    Pearl Harbor ! Et la guerre que l'on sait. Les Japonais sont devenus des traîtres. Peu à peu certains ont disparu, emmenés de force, sans ne plus jamais donner de nouvelles. Un jour les maisons se sont vidées et tous les Japonais sont partis.

    "Un an plus tard, toute trace de leur présence a disparu de notre ville ou presque. Des étoiles d'or scintillent à nos fenêtres. [...] Nous parlons rarement d'eux désormais, bien que nous arrivent de temps à autre des nouvelles depuis l'autre côté des montagnes. [...] Tout ce que nous savons c'est que les Japonais sont là-bas quelque part, dans tel ou tel lieu, et que nous ne les reverrons sans doute jamais plus en ce bas monde." (p.139)

    C'est un roman-choral, le chant de misère et de souffrance d'un peuple qui perd son identité. Volonté assumée de l'auteur de ne privilégier aucun personnage en particulier. Des noms, certes, que l'on peine à retenir parce qu'ils ne nous sont pas familiers. Mais qu'importe, l'auteur reste toujours dans l'anonymat, dans le collectif : ils, elles, certaines, certaines d'entre nous, le patron, leurs vergers, leurs champs ... La litanie des mots scande le récit comme la litanie des jours scande leur vie sans changement, sans projet, sans rêve et sans avenir.

    Editions Phébus 2012 (142 pages)

    Julie Otsuka est née en 1962 en Californie. Diplômée en art, elle abandonne une carrière de peintre pour se consacrer pleinement à l'écriture. En 2002, elle publie son premier roman Quand l'empereur était un dieu (Phébus 2004- 10/18, 2008) qui remporte immédiatement un grand succès. Son deuxième roman, Certaines n'avaient jamais vu la mer, à reçu le PEN/Faulkner Award for fiction.

    www.lexpress.fr/.../certaines-n-avaient-jamais-vu-la-mer-par-julie-otsuka