jeudi 25 décembre 2014

Un jeune homme prometteur de Gautier Battistella


     Mémé était venue les chercher, Jeff et lui, pour les emmener à Labat dans son village isolé des Pyrénées. "Personne ne voulait de nous à l'orphelinat parce qu'on était deux, qu'on refusait de se quitter, et que Jeff se bagarrait tout le temps." Elle avait signé les papiers et ils étaient partis "dans sa voiture cabossée, une 4L grise qui sentait le foin." Ils n'ont pas posé de questions, ils ont simplement vu son "vrai sourire, large, qui donne une bourrade dans le dos."
    Mémé avait besoin d'aide à la ferme, pour la litière de la vache, pour exterminer les limaces qui mangeaient toutes les provisions et qui allaient finir par les affamer. Jeff était très fort et se chargeait des gros travaux. "Je l'aidais à terminer ses devoirs quand il avait envie de s'y mettre. Lui me protégeait. Les gens trop malins se font beaucoup d'ennemis. Je n'ai jamais eu tellement d'amis." Jeff, quand il était en colère devenait incontrôlable et faisait des drôles de choses et c'est sûrement pour ça que les autres nous regardaient d'une drôle de façon.
    Parce qu'il aimait les livres, Mémé lui avait présenté sa voisine Madame Petrovna, un peu étrange, les enfants l'appelaient la sorcière. Intrigué, sa maison pleine de livres, les histoires qu'elle racontait l'aimantaient. Puis un jour, elle lui a montré : "Elle était ronde et dorée. Je n'avais jamais vu de machine à écrire en vrai. Elle avait un prénom : Rémington 12. C'était une fille... C'est comme ça que tout a commencé. Par quelques notes sur le piano à mots." Quand elle lui a fait cadeau de la Rémington, il a su qu'il deviendrait écrivain.
    Il continue sa scolarité, Jeff se moque souvent de lui, il le laisse dire. A l'adolescence, il rencontre Marie dont il devient amoureux. Leur idylle ne dure qu'un temps, elle l'abandonne, il en est fou de rage. Mémé disparaît à son tour, définitivement, lui laissant la maison. Jeff est parti et ne donne plus signe de vie. C'est l'occasion pour lui d'aller à Paris se frotter au monde littéraire de la capitale, il y songe depuis si longtemps ! Rapidement il trouve un emploi de pigiste, rêve d'écrire un roman, de devenir célèbre ! Très vite il perd les illusions de son inexpérience, le monde littéraire et les médias lui font horreur. Déçu, révolté il étouffe dans cette jungle.
    Seules éclaircies dans cette jungle, les visites qu'il rend à sa mère. Il a fini par la retrouver et va régulièrement la voir à ...Sainte-Anne où elle est internée depuis des années. Elle accepte les entrevues sans le reconnaître, il ne semble pas en être perturbé.
    Sur les conseils du Docteur Blandin, le père de Marie qui avait soigné Mémé et avec qui il était toujours resté en relation, il part pour Bangkok où il rencontre l'écrivain qui avait obtenu le Prix Goncourt il y a quelques années ... l'imprévisible, l'insaisissable Philippe Grêle !

    Impossible de résister à la vitalité du narrateur, à son désir d'avancer malgré les embûches qui jalonnent son chemin. On suit d'autant mieux son parcours que l'auteur adapte le récit au fur et à mesure des années qui défilent  malmenant le lecteur comme la vie malmène le garçon. L'écriture est imagée, juste avec, parfois, une pointe d'humour qui la rend pertinente quand elle juge les adultes, enthousiaste, émouvante quand elle se teinte de tendresse, violente et même insoutenable quand elle décrit certaines scènes.
    L'auteur bouscule le lecteur qui lui pardonne volontiers parce qu'il sait si bien parler des mots, de l'inspiration et de l'incontournable désir d'écrire, pare qu'il ose évoquer, avec lucidité, l'univers pollué d'un certain milieu littéraire et médiatique. Comment ne pas penser au pamphlet de Pierre Jourde 'La littérature sans estomac."

    Editions Grasset 2014 (398 pages-20€)

    Gautier Battistella est né en 1976, il vit à Paris.
    Un jeune homme prometteur est son premier roman.





lundi 8 décembre 2014

Le ravissement des innocents de Taiye Selasi


    Premier roman d'une jeune auteure née à Londres le 2 novembre 1979 d'un père ghanéen et d'une mère anglaise. De 5 à 21 ans, après le divorce de ses parents, elle vit avec sa mère au Massachusetts. A l'âge de 15 ans elle va pour la première fois au Ghana et par la suite retourne chaque été en Europe et en Afrique. Au printemps 2011, diplômée de l'université de Yale, elle choisit de poursuivre son cursus à Londres et de rester en Europe. Désormais, elle vit à Rome, les loyers exorbitants de Paris l'ayant dissuadée de s'y installer.

    "Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de sa chambre."
    C'est ainsi que commence l'histoire de la famille Sai, par la fin en quelque sorte, puisque Kweku, le père, se meurt d'un infarctus dans le jardin de sa villa au Ghana. Inexplicable réaction du médecin qu'il était devenu à Boston, il semble ne rien vouloir tenter pour éviter que l'issue ne lui soit fatale.
    Le Ghana, il en était parti pour fuir la misère et entreprendre aux Etats Unis des études de médecine. Devenu chirurgien, sa carrière s'annonçait prometteuse. Il vivait à Boston avec Folasadé la belle nigériane et leurs quatre enfants. Olu l'aîné suivra l'exemple de son père et deviendra un prestigieux médecin. Les jumeaux, Kehinde l'artiste coté et Taïwo "une beauté improbable, une fille impossible" ne cesseront jamais d'entretenir une relation fusionnelle. Quant à Sadie la benjamine, sauvée à sa naissance grâce à l'acharnement de son père, bien que complexée par la réussite de ses aînés fera de brillantes études.
    Heureuse et sans histoire, la cellule familiale explose quand Kweku, indûment renvoyé de sa clinique, profondément blessé, n'aura pas la force d'affronter la situation. Sans préavis, sans explications, il abandonne femme et enfants, décide de repartir dans son pays pour reconstruire une autre vie... avec une autre femme qui lui donnera un fils.
    La mort de Kweku oblige le retour au Ghana de la famille éparpillée. La vie a séparé les enfants devenus adultes, les retrouvailles vont resserrer les liens qui s'étaient relâchés mais aussi permettre à certains de se libérer en révélant ce qu'ils avaient toujours tu dans leur enfance redonnant, ainsi, à la tribu toute son unité.

    Dans ce roman, l'auteur s'attache aux détails, fouillant à l'extrême ses descriptions sans omettre de rythmer son récit. La construction éclatée dont la densité parfois retire un peu de clarté au propos requiert, alors, du lecteur une attention un peu plus soutenue.
    "C'est l'histoire d'une famille avec ses ruptures, ses déchirements, ses secrets et sa réconciliation."
Loin d'elle l'idée de faire un roman africain, c'est une histoire humaine et universelle et elle refuse que son roman soit enfermé dans une catégorie "comme elle ne veut être d'aucun pays en particulier."
    Quand j'aurai ajouté que son père est un brillant chirurgien, qu'après son départ elle a été élevée par sa mère et qu'elle a une soeur jumelle, difficile pour le lecteur de ne pas faire de rapprochement entre son parcours et celui de certains de ses personnages. C'est probablement pourquoi, elle tient à préciser que ce livre est bien un roman !

    Ghana must go 2013
    Editions Gallimard 2014 Traduit de l'anglais par Sylvie Schneiter
    366 pages- 21,90 €