dimanche 12 juin 2016

Bonnes nouvelles de Chassignet de Gérard Oberlé

     Soirées avec Claude Chassignet

    "Deux ou trois fois par saison je retrouve Claude Chassignet, un voisin du Morvan, tour à tour chez lui et chez moi. En attendant l'heure du dîner, nous inspectons nos parcs et potagers, nos bibliothèques et nos caves. Puis nous vidons quelques flacons en bavardant de choses et d'autres, avec une préférence pour les sujets cocasses, les histoires absurdes, les nouvelles extravagantes..."
    Prémices au dîner que l'auteur a concocté et que ne désavouerait pas un chef étoilé. Une des soirées appréciées des deux complices, propice aux confidences et prologue des "Bonnes nouvelles". 

    Mitzi

    "Quand la nostalgie de l'ailleurs s'emparait de lui, une fièvre récurrente, Chassignet s'envolait vers Assouan pour réchauffer ses abattis dans les jardins de l'Old Cataract."
    Depuis une dizaine d'années, il passait l'hiver dans ce vieux palace qui avait su préserver son ambiance victorienne. En conteur averti, Chassignet fait une description savoureuse des lieux, des indigènes, des pensionnaires et tout particulièrement de cette femme mystérieuse qui le fascine et attise sa curiosité. 
    "A l'occasion, il n'hésitait pas à se fourrer dans de nouvelles affaires, surtout lorsqu'il n'y était pas invité. Chassignet se coltine une amorce dormante dans la caboche. L'inconnue de la terrasse venait de l'enflammer comme un mèche."
    Témoin et enquêteur discret, sa curiosité satisfaite, il fait du destin de Mitzi le sujet central de cette seconde nouvelle. 

    Rafalé

    Ce soir-là, les deux complices qui festoient chez Chassignet apprennent que le directeur de la Caisse d'Epargne d'Autun s'est envolé avec la cagnotte.
     "Le fait divers a mis Chassignet en gaieté. Cet écureuil en cavale m'a rappelé un fugueur croisé en Mélanésie il y a vingt-cinq ans."
    En 1987, parti pour quelques mois en Nouvelle-Calédonie afin de se renseigner sur les us et coutumes canaques en vue d'une publication, l'auteur y avait rencontré ce bourlingueur qui l'avait fortement intrigué : "Ses traits étaient réguliers et fins tout en étant altérés, comme décomposés, une belle gueule de rafalé, comme on disait dans les annales de l'ancienne marine et des pontons, pour qualifier ce genre de physionomie." L'inconnu semblait le fuir mais les travaux d'approche de l'auteur finirent par payer et il accepta de lui confier son histoire. Banquier à Paris, il avait décidé de tout quitter pour venir chercher sur cette île la sérénité et donner un vrai sens à sa vie. 

    White Trash

    "L'épisode remontait à l'époque où Chassignet coulait parfois les printemps en Arizona, dans un canyon perdu près de la frontière mexicaine, chez son vieux copain Kenton."
    Pour rendre service à son ami, il accepte d'aller cueillir à sa descente d'avion le jeune Bob Anderson qui arrive d'Australie. Bob décide d'acheter une voiture d'occasion pour rentrer en Arizona tout en visitant le pays. Mais la limousine tombe en panne dans un bled perdu où les gars du coin s'arrangent pour ne pas les laisser repartir. Il faudra  toute la diplomatie de Chassignet pour débloquer la situation et les libérer d'une prise d'otages à peine déguisée. 

    Ses chroniques parues dans Lire, regroupées et publiées sous le titre "Emilie, une aventure épistolaire" (Grasset 2012), "Retour à Zornhorf" (2001) pour évoquer ses origines alsaciennes, "Mémoires de Marc-Antoine Muret" (2009) les trois livres qui m'ont fait découvrir avec enthousiasme une infime partie de l'oeuvre de Gérard Oberlé.
    Ecrivain reconnu, il est aussi libraire, l'un des meilleurs experts en France d'ouvrages anciens et rares. Oenologue réputé, gourmet averti, c'est un cuisinier hors-pair, "un des esprits les plus libres que je connaisse" résume son ami et complice Jim Harrison, disparu le samedi 26 mars à l'âge de 78 ans. Si Chassignet ressemble à son créateur, il est aussi cousin de Jim Harrison, c'est me semble-t-il flagrant dans la dernière nouvelle, White Trash, où Kenton en serait bien le sosie.
    Une écriture truculente, réjouissante avec juste ce qu'il faut de gouaille et de paillardise sans jamais tomber dans la vulgarité. Parfois, l'auteur émaille son texte de tournures et d'expressions surannées nous rappelant sa préférence, teintée de nostalgie, pour les écrits d'une époque révolue.
   Gérard Oberlé et Jim Harrison au manoir de Pron dans le Morvan, où l'écrivain américain aimait à résider quand il était en France.

    Editions Grasset & Fasquelle, 2016,  (210 pages- 17,00 €)