lundi 23 décembre 2013

Le milieu de l'horizon de Roland Buti

  
         L'été 1976, l'été où Gus a soudain basculé dans le monde des adultes !




     On s'installe dans une histoire somme toute assez banale, un instant de vie rurale écrasée par la chaleur d'une canicule exceptionnelle dans une ferme familiale en Suisse. 
    Gus raconte ses grandes vacances. Maintenant âgé de 13 ans, il doit participer aux travaux de la ferme avec son père et Rudy. Chaque journée défile invariablement rythmée par la traite des vaches et les soins aux poulets de l'élevage, le dernier investissement du fermier pour s'en sortir. Quand il en a terminé avec les bêtes, si sa mère ne sollicite pas son aide, il dessine, s'isole et lit en particulier Spirou dont il attend chaque semaine la parution avec fébrilité.
    Pas très réjouissantes ces vacances ! Un père paysan fier, bourru et peu bavard, une mère fine et effacée qui étonne dans cet environnement et semble attendre on ne sait trop quoi, une soeur qui rêve d'une vie loin de la ferme, Rudy, le cousin un peu simplet à l'âme d'enfant qui ne rechigne pas à la besogne à condition qu'on ne perturbe pas son quotidien ! Gus sait que ce n'est pas par eux qu'arrivera l'imprévu susceptible de rompre la monotonie des journées. Bien sûr, il y a Mado l'amie d'enfance, la dévergondée du village, qui lui tourne autour, l'accapare et suscite en lui les premiers émois d'une sexualité naissante.
    Et cette chaleur qui plombe la nature toute entière, accentue chaque jour un peu plus le mal-être des hommes et des animaux, assoiffe la terre et crée une sournoise angoisse qui ne dit pas encore son nom. Le monde perd ses repères et attend.

    "Epuisant été que cet été de 1976 au-dessus de nos têtes ! Nous étions rentrés en fin de matinée et, après avoir passé mon temps à lire et a dessiner, je m'étais assis sur le muret du jardin avec mon oiseau sur l'épaule. La lumière a agonisé avec une lenteur désespérante avant qu'une immense ombre tiède d'un seul tenant n'enveloppe enfin notre maison et que tout devienne plus proche, plus intime autour du périmètre délimité par le corps des bâtiments, le mur du potager et les barrières de fils barbelés. Le soleil avait laissé derrière lui une coulée de chaleur qui continuait à peser sur la terre. Ma colombe se reposait les yeux mi-clos, prostrée dans la dignité ancestrale des oiseaux qui ne font que s'ennuyer lorsqu'ils ne virevoltent pas dans les airs." (p.91)

    L'arrivée de Cécile dans sa Renault orange va secouer l'apathie générale. C'est à la poste du village où elle travaille, qu'elle a rencontré la mère de Gus, elles sont devenues amies et ne vont plus se quitter. Moderne et délurée, s'assumant totalement, son arrivée perturbe la vie paisible de la ferme qui peu à peu se fissure sous le regard interrogateur de Gus. La féminité provocante de la jeune femme l'attire mais il reste sur ses gardes et observe avec une prudente réserve. La vérité finira par éclater. Ajoutée aux conséquences de la sècheresse, elle plongera la ferme dans le chaos. Plus rien ne sera comme avant et Gus entrera brutalement dans le monde des adultes.

    "Je suis resté un long moment dans la cuisine a regardé l'armoire, la table imposante, les chaises et la huche à pain béante. J'ai ensuite regagné ma chambre à la vitesse d'un escargot sous le soleil de midi. Je portai sur mon dos la ferme de mes parents, une coquille bien trop lourde pour ma petite carcasse." (p.60)

    Une famille qui se défait, une ferme qui se meurt sous un soleil implacable, le parallèle est évident et judicieux. Dès les premières pages l'auteur laisse sourdre une inquiétude, une angoisse qui va inexorablement s'amplifier. Les poulets tombent comme des mouches, la terre crie sa soif, l'électricité devient palpable, la nature et les hommes se sont figés dans l'attente d'un orage libérateur.
    C'est avec minutie et délicatesse que l'auteur dépeint cette lutte inégale que l'homme n'a aucune chance de gagner. Pudeur et sensualité sont les qualités essentielles de ce livre à la fois roman d'initiation  et hommage à un monde rural qui se bat désespérément pour subsister.

    Editions Zoé 2013 (186 pages)

    Roland Buti est né à Lausanne le 25 janvier 1964. Enseignant il vit à Lausanne et consacre son temps libre à sa carrière littéraire.
  • 1990, Les âmes lestées, nouvelles E. Zoé
  • 2004, un nuage sur l'oeil, roman E. Zoé
  • 2007, Luce et Célie, roman E. Zoé