dimanche 7 février 2016

Une forêt d'arbres creux d'Antoine Choplin


    "Quand il regarde les deux arbres de la place, il pense à tous les arbres du monde.
    ... Les deux ormes, appelons-les ainsi, de tailles sensiblement égales, jeunes encore sans doute, distants de quelques mètres à peine et confondant ainsi leurs cimes. Par contraste, la clarté laiteuse du jour perçant la ramure au coeur rend à chaque branche sa forme singulière. On voit ainsi combien la silhouette rondouillarde et équilibrée de l'arbre résulte de l'agrégat d'élancements brisés, de lignes rompues et poursuivant autrement leur course, de désordres. Dans ce chaos que ne tempère que cette tension partagée vers le haut, l'oeil a tôt fait d'imaginer des corps décharnés, souffrants, empruntant à une gestuelle de flamme ou de danseuse andalouse, implorant grâce ou criant au visage de leur bourreau la formule d'un ultime sortilège, résistant un instant encore à l'appel du gouffre que l'on croirait s'ouvrant à la base du tronc."
 
Toute la symbolique  du livre est dans ces quelques lignes !

    République Tchèque, 1941, Bedrich est déporté au camp de Terezin avec sa femme et son fils qui n'a pas encore un an. Caricaturiste reconnu, il est chargé de diriger un service de dessin technique et d'élaborer les plans et l'esthétique d'un futur ... crématorium. Sadisme et cruauté d'un tel projet ! Pour alléger le fardeau, les dessinateurs se réunissent la nuit et par leurs dessins témoignent de leur vie au quotidien. Un moment de liberté, de résistance, malgré les risques encourus, pour rendre supportables la séparation d'avec les proches, la faim, l'angoisse d'une vie en sursis, l'horreur tout simplement.
    Bonheur de lire ces pages où l'Art et l'écriture semblent, comme toujours chez Antoine Choplin, indissociables, où l'auteur constate plus qu'il ne décrit avec délicatesse et retenue, où la solidarité silencieuse se passe de mots quand les regards savent tout exprimer.
    Un auteur qui s'efface devant ses personnages qui deviennent, alors, poignants de sobriété.

    Editions de La fosse aux ours 2015 ( 116 pages- 16€)

2 commentaires:

  1. l'exemple même de ce que j'aime : la concision, la retenue, la délicatesse...

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  2. Radeau (2003), La nuit tombée (2012) même plaisir de lecture. Un auteur trop discret que je regrette d'avoir trop négligé.

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Josèphe