vendredi 18 avril 2014

Une illusion passagère de Dermot Bolger

   "Il voulait la chaleur d'une main sur sa peau, en toute sécurité..."

 La Chine reçoit à Pékin une délégation officielle irlandaise. Martin accompagne le ministre pour superviser des entretiens qui ne sont que les derniers soubresauts d'un gouvernement à l'agonie. Il n'a pas été convié à poursuivre le voyage à Tianjin et Shangri-La, il rentre donc à son hôtel. Enfin seul, confronté à ses propres problèmes, il se rend à l'évidence que, comme son gouvernement, son mariage est au bord du naufrage.
    A toujours vouloir aplanir les conflits familiaux, toujours soucieux d'être irréprochable au ministère, serait-il devenu terne et sans ambition ? "Sans vouloir te blesser, Martin, qu'est-ce qui t'a rendu si ennuyeux ?" lui demande sa femme. A 55 ans après tant d'années d'une vie heureuse avec Rachel et leurs trois filles, peut-il accepter que leurs routes se séparent ? Pourquoi Rachel maintenant retraitée a-t-elle décidé de réorganiser sa vie différemment, de tirer un trait sur sa sexualité ? Incompréhension d'un mari toujours épris qui reste incapable de "concevoir un monde" sans elle ?
    Déprimé par ses pensées peu réjouissantes, Martin décide d'aller se détendre à la piscine et, après bien des hésitations, de s'offrir une séance de massage dans sa chambre.
    "... ce soir-là, il souhaitait seulement se détendre et enfin s'endormir. Il voulait la chaleur d'une main sur sa peau, en toute sécurité. Il y avait si longtemps que personne ne l'avait touché."
   Certes, la jeune femme chinoise qui se présente n'est pas très sexy dans son uniforme qui la fait
ressembler à une infirmière scolaire, mais elle se révèle efficace et discrète. Malgré le manque d'échange verbal (elle ne parle pratiquement pas anglais) une certaine complicité s'instaure entre eux. Martin finit par oublier ses problèmes, se laisse aller à une bienfaisante détente qui lui fait retrouver le plaisir d'être touché et d'être désiré. Relâchant les tensions accumulées, le massage débloque la conscience et la parole de Martin qui peut enfin regarder la vérité en face : le fiasco de son gouvernement mais avant tout celui de sa vie privée. En juxtaposant les deux situations, l'auteur dévoile les deux facettes de la personnalité de Martin.

 
L'écriture d'une incroyable densité cerne avec acuité l'introspection d'un personnage en quête de sa vérité :
    "... dans cet état d'ébriété, d'épuisement ou de révélation intérieure, il savait qu'il était plus qu'un homme vieillissant aux mains plaquées contre une fenêtre d'hôtel, il était au fond de lui, constitué de tous ceux qu'il avait été à chaque étape de son existence."
    Un personnage qui se projette dans un avenir plus ou moins éloigné mais probablement inéluctable
    "... Un homme atteint de démence sénile, qui n'était pas plus sûr de sa véritable identité que de l'endroit où il se trouvait, mais qui savait enfin ne plus avoir besoin de prétendre jouer un rôle pour qui que ce soit. Qui n'était certain que d'être vivant et véritablement seul, et de n'avoir aucun moyen de savoir ce qui s'était réellement passé dans sa vie et ce qui n'avait été qu'une illusion passagère." 

    Editions Joëlle Losfeld 2013 134 pages (15,90€)
    Traduit de l'anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas

    Dermot Bolger : né en 1959 dans la banlieue ouvrière de Dublin. Auteur de poésie , théâtre et romans
  • Tentation 2001 'Albin Michel) tr. Marie-Lise Marlière
  • Le voyage à Valparaiso 2003 (Albin Michel) tr. Marie-Lise Marlière
  • Toute la famille sur la jetée du Paradis 2008 (Joëlle Losfeld) tr. Bernard Hoepffner-C. Goffaux
  • Une seconde vie 2011 (Joëlle Losfeld) tr. Marie-Hélène Dumas 


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Josèphe