samedi 1 mars 2014

Ailleurs de Richard Russo

       
    L'histoire d'un amour filial qui ne s'est jamais démenti.

    Autobiographie et biographie de Jean la mère de l'auteur, ce récit entremêle deux destins tellement imbriqués que seule la mort pourra les séparer. Deux vies fusionnelles, celle d'une femme fière, abusive, envahissante, obnubilée par son désir "d'indépendance" et malade d'obsessions incontrôlées, celle d'un fils marqué par une enfance vécue dans une cité ouvrière et par l'absence d'un père qui avait fui l'instabilité d'une épouse "cinglée".

    "Elle ne nous avait jamais considérés comme deux personnes distinctes mais plutôt comme une entité unique, tels deux jumeaux nés à vingt-cinq ans d'écart, deux petits pois dans la même cosse génétique."

    Ne jamais rester éloignée de son fils, c'est la préoccupation vitale de Jean : il est son "refuge" qui ne lui a jamais fait défaut. Alors, elle sera de toutes les étapes de sa vie. Gloversville cité de sa jeunesse, Phoenix quand il est entré à la fac, Tucson, Camden quand il a travaillé, quand il s'est marié. Et à chaque fois, le scénario se répète : lui trouver l'appartement répondant aux critères qu'elle impose.
    Ballotée entre désir de s'en sortir et crises nerveuses dépressives qui l'angoissent, elle transforme le lien filial en esclavage. Ricko-Mio, c'est ainsi qu'elle le nomme, répond toujours à ses appels désespérés sans que pour autant il perde le sens des réalités. Une observation lucide, froide parfois, lui permet de prendre la mesure de cette souffrance qui la ronge et qui n'est pas sans nourrir sa propre culpabilité.

    "C'est toi dont j'ai besoin. Dès ma jeunesse, j'ai compris que la santé de ma mère, son bien-être étaient entre mes mains.Combien de fois, au fil des ans, m'a-t-elle attribué le mérite, à moi ou à ma présence toute proche, de son rétablissement ?"

    Mère fardeau dont l'état se dégrade un peu plus chaque jour en dépit de l'amour  et de l'attention qu'il lui porte sous le regard indulgent et compréhensif de sa femme et de ses filles.
    Mère référence qui lui a appris que la lecture est une récompense et que les livres peuvent devenir l'ultime recours d'une vie dévastée en l'ouvrant sur un imaginaire sans limites.
    "Vous ne pouvez pas créer un écrivain sans créer d'abord un lecteur, et c'est ce que ma mère a fait de moi. En outre, même si je n'avais plus l'âge de m'intéresser à ses livres, ceux-ci participèrent à la fabrication de l'écrivain que je deviendrai plus tard..."

    Un roman à deux voix entre démence et compassion écrit dans un réalisme sensible où l'auteur sait garder distance et lucidité. Obsédé et besogneux comme elle, quand il le réalisera, il comprendra que c'est probablement ainsi qu'il est devenu l'artisan de sa propre vie de romancier et qu'elle fût en quelque sorte sa muse.

    "Je n'étais pas un être supérieur , uniquement une personne éduquée, et cela, je le devais en grande partie à ma mère. Peut-être avait-elle tenté de me dissuader de devenir écrivain, mais si j'en étais un aujourd'hui, elle en était la principale responsable."

    Editions Quai Voltaire/la Table Ronde 2013- 262 pages- (21€)
    Traduit de l'anglais (Etats Unis) par Jean Esch

    Richard Russo : né en 1949 dans l'Etat de New York. Université d'Arizona (1979-1980) Professeur de littérature puis écrivain.
  • 1995 Un Homme presque parfait (adapté au cinéma par Robert Benton)
  • 1998 Un Rôle qui me convient
  • 2002 Le déclin de l'empire Whiting Prix Pulitzer
  • 2004 Le Phare de Monhegan
  • 2005 Quatre saisons à Mohawk
  • 2008 Le Pont des soupirs
  • 2010 Les Sortilèges du Cap Cod
  • 2011 Mohawk
  • 2013 Ailleurs

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Josèphe