lundi 16 février 2015

Un pays pour mourir d'Abdellah Taïa

    Venus en France chercher un pays pour vivre, ils n'ont trouvé qu'une ville froide, Paris, à "la bourgeoisie bien étriquée, trop fière de sa culture et toujours bien contente d'elle-même", où les émigrés arabes et musulmans peinent à trouver leur place quand ils ne succombent pas aux regrets et au désespoir.

    Zahira avait fui le Maroc pour se soustraire à l'emprise d'une mère, "dictatrice épanouie, en majesté", qui avait refusé qu'elle se marie avec Allal le marocain à la peau noire. Elle est hantée par les souvenirs de son père, qui avait fait l'Indochine, de sa soeur Zineb qui rêvait d'aller en Inde et qui a disparu. A Paris elle continue, comme au Maroc, à se prostituer, c'est le seul travail qu'elle sait faire.
    Aziz vient d'Algérie bien décidé à subir l'opération qui fera de lui une femme, le rêve du petit algérien qui ne s'est jamais senti un garçon. Lui aussi fait commerce de son corps, sans retenue, pour accéder à l'indépendance financière nécessaire à son projet.
     Motjaba, révolutionnaire iranien écrit une longue lettre à sa mère où il lui explique pourquoi il a dû quitter son pays : homosexuel, correspondant de The Guardian, participant à la manifestation de 2009, sa présence est indésirable en Iran.
    Les trois destins se croisent et se nouent, Zahira en est le lien. Prostituée au grand coeur, elle écoute les doutes et les peurs d'Aziz et lui trouve un nouveau prénom . Et, quand après l'intervention, Zannouba-Aziz attend une transformation qui tarde à venir, elle tempère son impatience et calme ses angoisses. C'est elle qui, en toute simplicité, recueille Motjaba pendant le mois de ramadan.

    Avec un profond respect de ses personnages, l'auteur de ce roman intimiste dépeint dans un contexte social difficile, parfois sordide des compagnons de misère et de solitude qui se demandent si, enfin, ils auront une deuxième chance et si, un jour, il leur sera possible d'apprendre à mourir.
    Des moments drôles, de l'humour, de la tendresse, beaucoup de rêves, quelques pages d'un surprenant hommage à Isabelle Adjani parce qu"elle est algérienne comme toi et moi" font de ce roman réaliste une oeuvre terriblement attachante.


    "...Paris est ma cité, mon royaume, mon chemin. C'est là que je voulais venir. Fuir, grandir. Apprendre libre le monde. Marcher sans peur et partout. Marcher. Encore marcher. Devenir pute.Officiellement. L'assumer. C'est là que je veux mourir. C'est là que je veux écrire mon testament..." (Zannouba-Aziz) 

     Editions du Seuil 2015 (164 pages-16€)

      



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Josèphe