dimanche 11 septembre 2016

Je suis en vie et tu ne m'entends pas de Daniel Arsand

    " L'un des toits s'était effondré. En novembre 1945, la gare de Leipzig exposait les ravages causés par la guerre. Là, devant lui, Klaus Hirschkuh, vingt-trois ans, devant lui et autour de lui, droite, gauche, ciel et terre, et peut-être à l'infini, dans sa mire et au-delà, en somme partout, s'étalaient et s'entassaient les ruines d'une ville à plus de la moitié détruite. Il y avait vécu son enfance et son adolescence, il y avait aimé Heinz Verner, on l'y avait torturé, d'où il avait été arraché à dix-neuf ans, c'était jadis, dans un passé impassible et peut-être rêvé..."

    Après quatre années de détention à Buchenwald, l'ombre de Klaus, est de retour à Leipzig. Bien que dépouillé de son pyjama rayé au triangle rose, marque apparente de son infamie, il porte le fardeau muet des mots, des actes subis, arrière-plan ineffaçable de son quotidien.
    Sa priorité, retrouver au milieu des décombres son immeuble, s'assurer que ses parents et son frère sont toujours vivants, se réfugier dans l'appartement familial pour oublier et s'y reconstruire. Quatre années sans donner de nouvelles, il sait qu'il n'est pas attendu et rêve d'un retour accueillant. La porte du 23 qui l'intimide, la mère qui doit être seule, le père et le frère au travail, le silence difficile à combler par des mots qui ne savent pas quoi dire après une pauvre émotion retenue. Et les griefs qui ne passent pas les lèvres, le désir de ne pas savoir, la honte tout simplement.

    "...ce qui était survenu avait été inévitable. Il avait causé son propre malheur, et le leur. Mais on s'en était remis, il y avait plus grave, certains jours, qu'un fils disparu, emprisonné. Pourquoi en savoir plus ? Avant-guerre, au début de la guerre, il les avait en quelque sorte déclassés par ses moeurs (d'eux, les gens normaux, disait-on qu'ils avaient des moeurs ? Ils couchaient, ils aimaient, ils se mariaient, ils engendraient surtout, mais ils n'avaient pas de moeurs), il les avaient rendus douteux à eux-mêmes, à une société tout entière. Comment pardonner ? "

    Lui qui était rentré pour ne pas sombrer, se retrouve confronté au silence d'une mère soucieuse du qu'en-dira-t-on, à la bonté imprévisible d'un père qui n'ose s'exprimer, à l'agressivité du frère aîné qui l'a toujours détesté. Echapper à son passé qui ne cesse de hurler à ses oreilles les insultes qu'il voudrait ne plus entendre, oublier les agressions sexuelles y compris celles de ses codétenus, ne plus être une ombre et recommencer à vivre. Il est conscient que le chemin va être difficile parce qu'entaché par le ressentiment des siens qui n'ont jamais accepté sa différence. Il quittera sa famille, retrouvera du travail et finira par s'expatrier en France. Un jour viendra où il pourra recommencer à aimer et plus tard, l'âge venant, il aura le courage de se rebeller contre une homophobie qui a décidément la vie dure !
     L'auteur invente une écriture qui n'épargne pas le lecteur où le passé et le présent sont intimement imbriqués, où les mots deviennent des cris de souffrance et de révolte, des mots parfois d'une nécessaire crudité qui renforce l'impact et l'horreur des atrocités qu'elle décrit. Une écriture haletante qui s'assagit quand elle accompagne l'homme qui se cherche et se construit. Un roman qui se revendique témoignage à la mémoire des déportés pour homosexualité.


    Editions Actes Sud 2016 (268 pages- 20€)

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Je le conçois aisément.En le lisant, je me suis souvenue du roman d'Arnost Lustig paru en français en 2010, "Elle avait les yeux verts" l'histoire d'une jeune et belle juive de 15 ans versée au bordel du camp suivie du récit de sa difficile tentative de reconstruction.Une lecture inoubliable !

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Josèphe