vendredi 12 septembre 2014
Joseph de Marie-Hélène Lafon
"Les mains de Joseph sont posées à plat sur ses cuisses. Elles ont l'air d'avoir une vie propre et sont parcourues de menus tressaillements. Elles sont rondes et courtes, des mains presque jeunes comme d'enfance et cependant sans âge. Les ongles carrés sont coupés au ras de la chair, on voit leur épaisseur, on voit que c'est net, Joseph entretient ses mains, elles lui servent pour son travail, il fait le nécessaire. Les poignets sont solides, larges, on devine leur envers très blancs, charnu, onctueux et légèrement bombé. La peau est lisse, sans poils, et les veines saillent sous elles. Joseph tourne le dos à la télévision. Ses pieds sont immobiles et parallèles dans les pantoufles à carreaux verts et bleu marine achetées au Casino chez la Cécile; ces pantoufles sont solides et ne s'usent presque pas, leur place est sur l'étagère à droite de la porte du débarras."
La densité de ces premières lignes est chose rare ! En creux, elles dessinent tout ce que l'on doit savoir de Joseph. Un portrait détaillé serait superflu. D'ailleurs l'auteure se contente d'ajouter seulement qu'il aura bientôt cinquante-neufs ans et qu'il pense que "un patron comme celui-là allait bien pour se finir." Il songe à la retraite, se souvient de toutes les places qu'il a faites, les bonnes et les mauvaises où les "sournois" maltraitent les bêtes dans le dos du patron. Celles-là, il les avait quittées rapidement parce qu'il aime son travail et le fait en pensant à tout ce qui est bon et bien. Joseph est un doux taiseux, un observateur affûté qui sait resté discret et réservé.
"Joseph avait eu un trou dans sa vie, au milieu, entre trente-deux et quarante-sept ans; il y pensait comme à un fossé plein de boue froide avec des bords glissants où il serait tombé en sortant du café, et rien pour s'appuyer, rien à quoi se retenir;"
C'était après avoir connu et vécu avec Sylvie qui est partie en le laissant seul avec son désir de famille. Trois cures plus tard, il s'en est sorti, heureux qu'un patron accepte de lui faire encore confiance, de pouvoir rester au pays et de ne pas partir à la ville comme son frère qui s'est marié et investi dans un commerce.
Peu de chapitres, jamais d'alinéas, des phrases courtes qui donnent au récit un rythme et une continuité qui ôtent au lecteur toute velléité de faire une pause. Un vocabulaire simple, précis qui ne doit certainement rien au hasard, enrichi d'expressions pas encore totalement disparues, propres aux gens de la terre comme si là-bas on ne voulait pas perdre son temps en mots inutiles.
En racontant Joseph témoin de son temps l'auteure rend hommage au monde paysan du Cantal, à ce monde silencieux et vieillissant où le travail est rude, exécuté sans plainte et sans récrimination par des hommes conscients d'en être probablement les derniers survivants.
Editions Buchet-Chastel 2014 (140 pages, 13€)
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Josèphe