Nicole était née quand Robert Malbosse, dit Bob, avait vingt ans. A sa naissance, il s'était tiré, parce que s'encombrer d'un enfant ne faisait pas partie de ses projets. Il avait connu Suzy alors qu'elle n'avait pas encore seize ans mais qu'elle était déjà la mère d'un petit garçon qu'elle avait eu avec Jacky le fils du second mari de Mado, sa mère, un dénommé Max Turpin qui aurait bien pu aussi en être le père. Turpin n'avait pas toujours été l'homme qu'il était maintenant, "... (il) avait passé sa vie, jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, à boire, à jouer et à courir la gueuse" pour finir dans une ruelle tabassé à mort où Dieu lui apparut le menaçant de la damnation éternelle. Effrayé, il était allé à l'église en quête de rédemption, y avait rencontré Mado qui s'était aussi racheté une conduite et qui avait accepté de l'épouser.
Bien qu'encore très jeune, Max et Mado avaient laissé Suzy partir vivre chez les Malbosse. Totalement sous la coupe de Bob, malfrat de piètre envergure, elle participait sans état d'âme à "ses activités délictueuses". Leur association aurait perduré si elle ne s'était pas retrouvée enceinte. La rendant seule responsable de cette grossesse, Bob avait exigé qu'elle se fasse avorter. "Rien n'y fit." Après l'accouchement, elle avait attendu en vain son retour puis résignée était revenue vivre chez ses parents qui tout d'un coup soucieux de moralité avaient décidé de la marier à Jacky. Pour fuir ce mariage et assouvir son envie de "bourlinguer" Suzy avait pris la fuite abandonnant sa fille aux mains du couple confit en dévotion.
Nicole avait grandi dans cette ambiance bigote. Devenir une sainte, une écrivaine comme Sagan ou Anne Franck, une gymnaste ... toutes ses tentatives furent vouées à l'échec quand, par hasard, elle lut pour la première fois un magazine de charme. Elle avait enfin trouvé sa voie : se faire remarquer, devenir célèbre, peut-être même une star, le tout sans trop se fatiguer. Et c'est ainsi que sa photographie de pin-up aguicheuse parue dans Dreamgirls vint égayer le séjour, en prison, d'un père dont elle ignorera toute sa vie l'existence.
C'est toujours avec gourmandise que j'aborde un nouveau roman d'Eric Laurrent assurée d'y retrouver cette élégance dans l'écriture teintée d'un pédantisme judicieusement dosé que lui confèrent les mots savants qu'il ose utiliser.
J'apprécie l'investissement exigé du liseur afin d'aborder ses phrases d'une longueur inhabituelle l'obligeant à de fréquents allers et retours pour en saisir le rythme et la subtilité, de longues phrases émaillées de parenthèses où viennent s'insérer d'autres parenthèses au risque de lui faire perdre le fil d'un récit qu'une utilisation intempestive du subjonctif habille d'un maniérisme totalement décalé quand l'auteur nous dépeint la violence et les turpitudes de certains personnages. Un liseur qui ne peut rester indifférent à la minutie des descriptions où chaque détail noté avec recherche et précision donne une réalité étonnante en particulier à la photographie de Nicky Soxy (ex Nicole) punaisée dans la cellule des Baumettes. Un liseur qui sera d'autant plus sensible à l'humour et au comique de certaines scènes qu'elles sont rares et réjouissantes.
Comment ne pas se souvenir de l'époustouflante description que fit l'auteur du "Printemps" de Botticelli dans "Renaissance italienne" (2008). Comment ne pas songer à Marcel Proust et surtout à Jean Rouaud dans son inoubliable "Imitation du bonheur" (2006)
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Josèphe