1942, Albert Camus publiait "L'étranger", son premier roman qui débutait par cette phrase devenue célèbre "Aujourd'hui, maman est morte."
2014, Kamel Daoud publie "Meursault, contre-enquête" son premier roman qui débute par :"Aujourd'hui, M'ma est encore vivante."
Loin d'être fortuite, cette similitude risque fort d'intriguer les lecteurs sur les deux rives de la Méditerranée. Que cherche Daoud après tant d'années ? Régler un contentieux avec l'auteur de L'étranger ? Hautement improbable : de son propre aveu il admire trop Camus ! Ou alors, tout simplement, réparer une omission en donnant enfin une identité à "l'arabe" assassiné !
"... c'est une histoire qui remonte à plus d'un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en parlent encore, mais n'évoquent qu'un seul mort - sans honte vois-tu, alors qu'il y en a deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission ? Le premier savait raconter, au point qu'il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu'il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n'a même pas eu le temps d'avoir un prénom."
Daoud lui donne non seulement un prénom, Moussa, mais aussi une mère, un frère et un père absent. M'ma devenue silencieuse passera les années à chercher le cadavre de son fils et Haroun à essayer d'être le substitut du frère disparu.
Dans un bar où il s'alcoolise, Haroun devenu vieux raconte à l'auteur la vie d'une famille dévastée par l'assassinat de Moussa et l'injustice du jugement qui condamne Meursault, non pas pour avoir tué "l'arabe" mais pour ne pas avoir pleuré à l'enterrement de sa mère !
Arrivera la période de l'indépendance de l'Algérie avec ses bouleversements et ses exactions, ses revirements de situations et la boucle se refermera quand Haroun sera contraint de tuer "un blanc", assassinat qui ne sera jamais découvert et restera donc impuni.
C'est un livre qui demande attention et persévérance, exige des retours en arrière pour en saisir tout le sel, pour savourer les analogies et les parallèles avec L'étranger que j'avais eu la bonne idée de relire avant d'aborder Meursault, contre-enquête.
Chroniqueur depuis 17 ans au Quotidien d'Oran, Kamel Daoud écrit, dans un pays de langue arabe, en Français. Français qu'il avait appris seul dès l'âge de neuf ans.
Editions Actes Sud 2014 (153 pages - 19€)
Beaucoup aimé ce livre qui donne en effet l'envie de relire Camus, tout comme celui de Lydie Salvayre avec Bernanos.
RépondreSupprimerLire "Le grand cimetière sous la lune " de Bernanos s'impose surtout que la 1ère partie de "Pas pleurer" m'a semblé, parfois, manquer de clarté même si Lydie Salvayre gomme cette impression ensuite.
SupprimerIl n'en reste pas moins que j'ai sans conteste préféré "Meursault, contre-enquête" pour l'audace de son sujet et la maîtrise de son écriture. Pour moi, un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire.
Pas que "Le grand cimetière..." qui est vraiment très sombre et difficile... relire peut-être "Journal d'un curé de campagne" pour commencer et se remettre dans cette écriture, puis Mouchette et les autres.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé le sujet pris par les cornes de Kamel Daoud, son audace, son originalité, beaucoup moins son écriture très journalistique.
Maso, j'aime ce qui est sombre. J'attache beaucoup d'importance à l'écriture, son style journalistique ne m'a pas gênée bien que dénué de poésie, mais je n'attendais pas autre chose probablement. Ce "dissident" notoire m'a fait pensé à Boualem Sansal entre autres à Rue Darwin. Rien à voir évidemment, si ce n'est que je me demande comment ils sont encore tolérés dans leur pays ?
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