En découvrant l'auteur j'ai découvert un pays ! Si le "gamin" est le fil rouge de la trilogie [ Entre ciel et terre ( 2010 ), La tristesse des anges (2011), Le coeur de l'homme (2013) ], l'Islande en est un personnage à part entière, île modelée par son relief volcanique et la mer, dotée d'un climat aux hivers interminables submergeant hommes et bêtes sous des montagnes de neige dans une lutte implacable pour survivre.
Il en était ainsi fin du XIXème siècle. Depuis, si le contexte a évolué, il n'en reste pas moins le climat rigoureux et l'ancrage profond d'une population qui n'a pas oublié ses racines.
Quand ce quatrième roman débute, Ari rentre à Keflavik "ce lieu qui n'a que trois points cardinaux : le vent, la mer et l'éternité." Ecrivain et éditeur, pas encore la cinquantaine, il avait un matin quitté brutalement femme et enfants "par peur de perdre le contact avec sa voix intime". Après s'être réfugié au bord de la mer dans le Sud-Ouest de l'île il s'était exilé au Danemark pendant deux ans. Un colis plein de souvenirs envoyé par son père qui se prétend mourant l'incite à rentrer au pays. C'est avec son cousin, son complice narrateur anonyme du récit, qu'il revient sur sa terre natale qui par les images d'un passé qui ne demandait qu'à resurgir reprend vite possession de lui.
Un roman à trois temps où l'auteur fait alterner les époques dans des chapitres sous titrés :
Nordfjördur - Jadis : un petit port de pêche perdu, au temps des grands-parents d'Ari, quand son grand-père Oddur capitaine et armateur était le "héros des mers" et quand sa grand-mère Margrét beauté à la longue chevelure lui disait " Si je dénoue mes cheveux, alors tu sauras que je suis nue sous ma robe, alors tu sauras que je t'aime."
Keflavik - 1976 et 1980 : l'enfance et l'adolescence d'Ari et de son cousin, quand ils pillaient les colis des camions de la base américaine, quand ils chassaient la perdrix sur la lande, quand ils travaillaient au séchage de la morue et qu'ils écoutaient en boucle les Pink Floyd et les Beatles.
Keflavik - Aujourd'hui : les difficultés de l'homme à vivre parce que " rien n'est simple - jamais - dès qu'il est question de l'être humain."
Dans son interview à la librairie Mollat, l'auteur explique qu'il a cherché à comprendre ce qui a changé par rapport au siècle dernier quand l'homme travaillait plus dur et vieillissait plus vite, quand il n'avait pas le choix dans la vie et dans l'éducation. De nos jours, trop de choix peut devenir source de souffrance, l'homme qui croule sous le travail et se laisse envahir par le stress, a de plus en plus de difficulté à exister parce qu'il s'éloigne de ses racines.
Selon les époques, l'écriture s'adapte devient plus "sociale", plus prosaïque quand on est dans l'aujourd'hui pour reprendre un souffle poétique hallucinant de vérité quand il raconte son île domptée par la neige et le blizzard attendant le renouveau qui tarde trop à venir.
Mais c'est toujours de l'homme qu'il nous parle, de ses faiblesses, de son incompréhension, de la quête d'un sens à donner à son existence, car " la vie est incompréhensible, et injuste, mais nous la vivons tout de même, incapables de faire autrement, elle est la seule chose que nous ayons avec certitude, à la fois trésor et insignifiance."
Les chapitres sous titrés "Jadis" sont les plus beaux, j'y ai retrouvé le grand prosateur que j'avais découvert avec "Entre ciel et terre". Les dernières pages empreintes d'une grande sensibilité sont tout simplement poignantes. Petite réserve pour les chapitres sous titrés "Aujourd'hui", ils m'ont semblé un peu bavards. Il n'en demeure pas moins que, pour moi, ce roman est l'oeuvre d'un grand écrivain.
Editions Gallimard (du monde entier) 2015 Traduit de l'islandais par Eric Boury
FISKARNIR HAFA ENGA FAETUR Copenhague 2013