lundi 19 décembre 2011

L'accordeur de silences de Mia Couto

                       

   Du fin fond de l'Afrique nous arrive ce conte écrit à hauteur d'enfant : une histoire où se mêlent surnaturel et réalité. Réalité plombée par la paranoïa d'un père qui, après avoir perdu sa femme, se retranche avec ses deux fils et un soldat-mercenaire dans une ancienne réserve fermée et désertée en partie par les animaux afin de se couper de tout contact avec la civilisation.
   L'arrivée d'une femme " blanche", à la recherche de son amour perdu, va rompre l'équilibre de ce monde masculin, intensifier le questionnement des enfants, et leur donner l'élan nécessaire pour briser les barreaux de leur prison.
   Les enfants sont pleins de ressources et Mwanito va "réinventer" l'écriture en tenant un journal sur... de minuscules cartes à jouer. Peu à peu, il décrypte la souffrance enfouie dans le passé de chacun des personnages et nous permet, ainsi, d'entendre "la musique de leurs silences".
   "Je suis né pour me taire. Le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J'écris bien silences au pluriel. Oui, car il n'est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l'état de gestation."
   Parce qu'il se tait, Mwanito écoute et devine les vérités que les adultes s'évertuent à cacher. Il est l'enfant qui nous attendrit, nous fait sourire parfois et nous étonne toujours par son optimisme et son désir inébranlable d'avancer.

Mia Couto, d'origine portugaise, est né au Mozambique en 1955. Il vit à Maputo où il est biologiste.

Editions Métailié 2011-Jésusalem 2009 traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues.

                                                                                                      


MERCREDI 21 DECEMBRE 2011

     Opium Poppy d'Hubert Haddad
   

            La guerre n'épargne pas les hommes, encore moins les enfants !

   Alam, c'est le prénom de hasard attribué par le service d'immigration à cet enfant arrêté sur le quai de la gare. Petit paysan afghan de la région de Kandahar, région qu'il a désignée du doigt sur la carte, coincé entre la guerre et le trafic de l'opium, animé d'une furieuse envie d'apprendre et de s'en sortir, sera une proie facile pour les talibans prêts à en faire un kamikaze ou un trafiquant de drogue.
   Habité par le souvenir de son frère, tête brûlée enrôlé par les talibans, perdu puis retrouvé, par Malalaï l'adolescente si jolie mais trop libre et trop savante (vitriolée elle se suicidera à l'hôpital), il ne pense qu'à fuir loin de son pays.
   C'est ainsi qu'on le retrouve dans un centre de rétention de la région parisienne, en classe d'alphabétisation avec d'autres exilés, puis dans différents squats en but à la ségrégation, au rejet et à l'isolement, menant une lutte sans merci pour survivre.
   Lui qui rêvait d'émancipation, de se construire une vie, écrasé par des circonstances qui le dépassent et des conditions qu'il ne peut contrôler, se retrouve embrigadé par un gang dans l'incapacité de gérer le tragique de sa situation.
   L'auteur nous projette d'un monde à l'autre, celui de la guerre en Afghanistan, celui des exclus et des marginaux en France. Deux mondes où l'enfant ne peut trouver sa place, se cogne à la violence, se cabosse et n'a plus le choix de son destin.
   Quel est ce monde où les hommes font d'un enfant un combattant en lui mettant simplement une arme dans les mains, alors qu'il est encore à l'âge de jouer aux gendarmes et aux voleurs avec ses copains ?
   Non, ce n'est pas que de la littérature ! Nous savons tous que cela existe et c'est pourquoi, quand j'y pense, j'ai furieusement honte !

   Editions Zulma 2011

   Hubert Haddad est né à Tunis en 1947, poète, romancier, dramaturge il écrit en français.
   Palestine, son précédent roman obtient le Prix des 5 continents de la Francophonie en 2008 et
le Renaudot poche en 2009

ww.zulma.fr/livre-opium-poppy-572013.htlm

                                                                                                           


JEUDI 29 DECEMBRE

                        Clèves de Marie Darrieussecq

 Une éducation sexuelle branchée et dans le vent.

   Les années 80 à Clèves sur la côte basque, Solange 13/14 ans n'a qu'une seule préoccupation en tête "les avoir" (ses règles) et puis après "faire la chose" (l'amour). Ensuite, grandir vite, très vite, pour attirer et assumer le regard des garçons qui commencent déjà à la regarder comme une proie potentielle. En un mot faire ses preuves !
   Pas facile, parce qu'il y a les copines, leurs discussions branchées, les mots qu'elle écoute, qui l'inquiètent et lui font un peu peur. Et surtout , elle ne doit pas faillir, se conformer au modèle en vigueur, jouer les affranchies, se couler dans le moule, sauter le pas pour vivre enfin !
   "Etre à beaucoup plus tard, souhaite pourtant Solange. Dans un mois, dans un an, dans deux ans, dans trois ans. Avoir seize ans. Avoir dix-huit ans. Attente insupportable. Etre adulte. Ce qui s'appelle une femme. Savoir de quoi la vie est faite, à quoi ma vie ressemblera, qui je serai. Pouvoir aller, venir, téléphoner, parler, m'en aller. Baiser. Baiser. Prendre la Terre entière et baiser."
   Mais ce n'est pas si simple quand on est une ado larguée par des parents dépassés : un père toujours absent, une mère qui n'a pas le temps. Et Solange ne s'est jamais sentie aussi seule et démunie par sa propre inexpérience.
   Marie Darrieussecq n'a pas l'habitude de ménager ses personnages et ses lecteurs. Si son écriture rapide, haletante sert au plus près son propos dépourvu de tout romantisme, elle choisit d'écrire sans retenue et sans tabou. Mais à trop se vautrer dans un vocabulaire qui frise la trivialité, l'auteur risque de lasser et de rendre la lecture des dernières pages particulièrement pesante. Dommage !

        Editions P.O.L. 2011 (345 pages)

Marie Darrieussecq est née à Bayonne le 3/01/1969. Elle est écrivaine et psychanalyste.
       Elle fut révélée par Truismes (P.O.L.) en 1996

fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Darrieussecq

www.lexpress.fr/.../marie-darrieussecq

                                                                                                    


VENDREDI 6 JANVIER 2012

                              Les découvertes d'Eric Laurrent

     Un éveil à la sexualité en toute discrétion.

     Clèves de Marie Darrieussecq, Les découvertes d'Eric Laurrent, deux livres que j'ai lus successivement et parce qu'ils traitent d'un même sujet, la découverte de la sexualité par deux adolescents, il m'a semblé intéressant de les juxtaposer. Si le thème est identique, les auteurs nous proposent des oeuvres totalement différentes. Clèves, l'histoire de Solange, extravertie, pas aussi délurée qu'elle le paraît, noie son obsession dans une oralité débordante.
   Dans Les découvertes, récit mi-romanesque, mi-autobiographique, l'auteur se met en scène alors qu'il a 2/3 ans et nous l'accompagnerons jusqu'à 20 ans. Le temps passant l'éveil à la sensualité deviendra éveil à la sexualité. Ici pas de logorrhée verbale, nous sommes dans le domaine de la pensée, du non-dit, du rêve. Pour l'enfant, épris de beauté sans le savoir, le corps féminin devient fascinant, mystérieux, énigmatique sujet de fantasmes, d'attirance, mais aussi d'interdit parce que teinté d'un soupçon de péché. Pour nourrir sa curiosité, il scrute les apparitions de Sylvie Vartan avec ses jupes fendues, de Michèle Mercier, marquise des anges, et rêve devant les affiches du cinéma !
   Mais tout ceci ne serait rien sans le talent d'Eric Laurrent. De "son écriture précieuse et contournée", c'est lui qui la qualifie ainsi, il nous chante un hymne à la beauté du corps féminin. Ses descriptions concises s'étirent en longues périodes faites de métaphores, d'archaïsmes, même si d'aucuns les trouvent surannées, personnellement elles me comblent. Avec lui, nous sommes toujours dans l'esthétisme et je connais peu d'auteurs capables de nous soumettre des évocations de la beauté, que ce soit celle d'une femme ou celle d'un tableau, qui soient, à la fois, aussi minutieuses, précises et réjouissantes. Lisez Renaissance italienne et vous serez convaincu et conquis.

                              Editions de Minuit (176 pages)

    Eric Laurrent est né en 1966 à Clermont-Ferrand, il vit àParis.
Ses trois derniers romans :
         Clara Stern (Minuit) 2005
         Renaissance italienne (Minuit) 2008
         Les découvertes (Minuit) 2011 Prix Wepler 2011

 interlignes.curiosphere.tv/?auteur=eric-laurrent-2